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L’évaluation de la toxicité des pesticides au niveau européen laisse à désirer. C’est ce qu’admet l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire sur lequel se repose le gouvernement pour proposer une distance de 5 à 10 mètres à respecter entre habitations et zones d’épandage de pesticides. Et ce que montre une étude de l’ONG Générations Futures publiée mardi.

Quelle est la distance minimale à respecter entre les habitations et les zones d’épandage de pesticides pour protéger au mieux les riverains ? 150 mètres, comme le prévoyait l’arrêté municipal pris en mai par le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) Daniel Cueff, suspendu fin août par la justice (au motif qu’un maire n’est pas compétent pour prendre des décisions sur l’utilisation des pesticides) mais qui inspire, depuis, des maires de tous bords politiques ? Ou alors 5 (pour les cultures basses telles que les céréales) à 10 mètres (pour les «substances les plus dangereuses» et les cultures hautes telles que les vignes ou l’arboriculture), comme l’a proposé samedi le gouvernement avant d’ouvrir lundi une consultation en ligne sur le sujet ?

Depuis quelques jours, la polémique fait rage. L’exécutif dit se baser sur les préconisations scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Celle-ci a recommandé en juin de mettre en place des distances de sécurité «au moins égales» à 3, 5 et 10 mètres entre les cultures et les bâtiments habités, selon le type de culture et le matériel utilisé pour la pulvérisation. Des distances «supérieures» devraient être respectées «par mesure de précaution, en particulier pour les produits classés cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction».

Une évaluation qui laisse à désirer

Sauf que, dénoncent plusieurs associations (Agir pour l’Environnement, Générations Futures ou encore Alerte des Médecins sur les Pesticides), cet avis de l’Anses repose sur une «méthodologie de l’évaluation de l’exposition des personnes obsolète et incomplète». L’Anses le dit à la page 5 de son avis, «la méthodologie actuellement utilisée dans le cadre de l’évaluation des dossiers de produits phytopharmaceutiques est basée sur le document guide de l’EFSA [Autorité européenne de sécurité des aliments, ndlr], [datant de] 2014». Or, admet l’agence française un peu plus loin, «dans les documents de l’EFSA, il est précisé que l’évaluation de l’exposition des personnes présentes et des résidents repose sur des données limitées issues d’études effectuées dans les années 1980. […] A ce titre, l’EFSA recommande la réalisation de nouvelles études pour affiner l’évaluation proposée». Etudes qui «devraient être disponibles début 2021».

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Par ailleurs (page 16 de l’avis), «la méthodologie présentée dans le document guide de l’EFSA permet une estimation de l’exposition des personnes présentes et des résidents uniquement à des distances de 2-3, 5 et 10 m». Autrement dit, l’Anses reconnaît elle-même que l’évaluation de la toxicité des pesticides au niveau européen laisse pour l’instant à désirer.

Règlement européen

C’est aussi ce que montre un rapport de Générations Futures publié ce mardi. L’ONG a recensé le nombre d’études publiées dans le monde concernant la toxicité de cinq substances actives de pesticides (insecticides chlorpyrifos, chlorpyrifos méthyl et thiaclopride, herbicide metsulfuron et fongicide métalaxyl-m) qui ont récemment subi le processus de réévaluation européen. Elle a ensuite comparé ce nombre avec le nombre d’études réellement présentes dans les cinq dossiers de demande de réautorisation de ces substances en Europe déposés par les industriels et dans les cinq rapports d’évaluation pour les renouvellements d’autorisation (RAR, élaborés à partir de ces dossiers par un Etat membre rapporteur).

Il se trouve qu’un règlement européen de 2009 exige que soient fournis, dans ces dossiers de demande et dans les RAR, l’ensemble de la littérature sur la toxicité des substances publiée dans des revues scientifiques au cours des dix années précédentes. Or, calcule Générations Futures, «en moyenne seulement 16% des études qu’on devrait trouver dans ces cinq dossiers de demande de réautorisation y figurent». Dans le cas des RAR, «en moyenne seulement 9% des études» qu’on devrait trouver y figurent.

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Ainsi, par exemple, pour le chlorpyrifos, très vendu dans le monde, la recherche de l’ONG sur la base de données PubMed (du National Institute of Health des Etats-Unis, qui répertorie la plupart des revues scientifiques en biologie), a recensé 1023 études de toxicité publiées au cours des onze années précédant la date de publication du RAR de mai 2017. Mais la liste des études du dossier de demande de la multinationale américaine Dow Chemical ne contenait que «131 études de toxicité publiées», soit une conformité de 13% au règlement européen. La liste des études du RAR répertorie, elle, «seulement 85 études publiées» sur cet insecticide, soit un taux de conformité de 8%.

«Sous-estimation de la dangerosité des pesticides»

Bref, l’évaluation des pesticides en Europe est loin, très loin de prendre en compte toutes les données scientifiques disponibles, bien que le règlement européen l’exige. Une situation que l’ONG qualifie d’«inacceptable», car elle conduit selon elle «clairement à une sous-estimation de la dangerosité des pesticides».

Générations Futures demande donc à l’EFSA de refuser «tout dossier ou RAR ne contenant pas l’intégralité de la production scientifique des dix années précédentes concernant la toxicité des pesticides en réexamen». Elle demande aussi que soit «pris en compte le poids de la preuve scientifique de l’ensemble des études universitaires montrant des effets néfastes, notamment à faible dose, de l’ensemble des matières actives pesticides en réexamen». Et enfin que soient «revus rapidement les dossiers de toutes les matières actives pesticides autorisées dans l’UE ces dix dernières années afin que ces dispositions leur soient appliquées».

Pour François Veillerette, le directeur de l’ONG, le lien entre ce rapport et la question de la distance minimale à respecter pour épandre des pesticides est «clair». Selon lui, «les décisions de l’EFSA et des autres agences sanitaires sous-estiment les risques, soit parce que les études universitaires ne sont pas prises en compte, soit parce que les méthodes d’évaluation sont obsolètes». Et d’estimer que cela «remet en cause l’ensemble du système, qui permet en fait à des produits dangereux de rester sur le marché» et d’être épandus non loin des habitations.

Coralie Schaub

Sorgente: L’évaluation de la toxicité des pesticides est «obsolète et incomplète» – Libération

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