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Dès le début de matinée, d’importants contrôles ont été réalisés dans la capitale en prévision d’une nouvelle journée de mobilisation des gilets jaunes. Aux abords des Champs-Elysées, où la manifestation était interdite, chaque passant était fouillé. Le cortège a finalement défilé depuis Denfert-Rochereau, où un parcours avait été déclaré en préfecture.

Il ne s’est passé qu’une semaine entre l’acte XVIII et l’acte XIX des gilets jaunes. Médiatiquement, ça pourrait être une année. Après les dégradations sur l’avenue des Champs-Elysées samedi dernier – dont le restaurant Fouquet’s, incendié – le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait été pointé du doigt et Emmanuel Macron pressé de rentrer de son week-end au ski. Pour éteindre la polémique, le gouvernement avait fait sauter un fusible : le préfet de Paris Michel Delpuech remplacé par celui de Bordeaux Didier Lallement, réputé rigide et froid. Dans la semaine, les manifestations ont aussi été interdites sur les Champs Elysées, l’amende pour participation à une mobilisation non autorisée augmentée à 135 euros et le gouvernement a annoncé faire appel à l’armée pour tenir certains sites ce samedi.

Tôt ce samedi matin, un important dispositif de maintien de l’ordre était en place dans les points sensibles de la capitale. Dans les gares, des forces de police étaient affectées à des missions de contrôles aléatoires. Toute personne suspecte était priée de présenter l’intégralité de son sac. A 8h30, à la gare Saint-Lazare, une équipe de quatre policiers épie les passagers des trains en provenance du Havre. Avant de s’intéresser finalement à nous. Ils s’expliquent, en inspectant notre matériel : «Ce sera comme ça toute la journée, les contrôles seront très stricts. Y a des têtes qui ont sauté la semaine dernière et ceux qui les remplacent ne veulent pas sauter non plus.» Plus loin, dans le métro, une seconde équipe de police également occupée à nous contrôler abonde: «C’est une instruction du nouveau préfet, c’est un cow-boy.» Autour des Champs Elysées vers 10 heures, même dispositif de contrôle en haut des escaliers de métro. Chaque passager sortant doit montrer le contenu de son sac. Aux abords de l’avenue, une fouille systématique, pas observée depuis le 8 décembre dernier, même si, selon les policiers, «aucun gilet jaune» n’est sorti de la bouche de métro.

Cinquième contrôle

Sur les Champs-Elysées.

(Photo BOBY pour Libération)

Avec tous ces contrôles, aucun manifestant ne s’est finalement risqué à braver l’interdiction sur l’avenue des Champs-Elysées à la mi-journée. Des dizaines de camions de gendarmerie étaient de toute façon stationnés au milieu de la chaussée, moteur ronronnant, pour les dissuader les téméraires. Le Fouquet’s avait été empaqueté dans une improbable protection en acier pour l’occasion. Et les blindés attendaient patiemment au bas de l’avenue, au beau milieu des touristes, seuls présents dans le quartier, dans une étrange scène de démonstration du maintien de l’ordre. Pas de militaires de la mission sentinelle en revanche. «Ils ne sont pas présents à l’Assemblée Nationale ni à l’Elysée, nous explique le gendarme occupé à effectuer notre cinquième contrôle de la journée. Ils sont seulement plus nombreux à certains points (transports, métro) pour soulager les forces de gendarmerie», poursuit-il.

Dans ce contexte, beaucoup de gilets jaunes s’interrogent en privé ce samedi : faut-il vraiment aller manifester ? Et si oui : où ? Depuis le début de la mobilisation, Patricia est une boussole. Cette retraitée, ancienne syndicaliste, est présente chaque samedi depuis le 24 novembre. A la veille de l’acte XIX, pour la première fois, elle nous confiait avoir peur de manifester : «Plus personne ne donne d’informations sur les réseaux sociaux, ils ont peur de la police. J’ai regardé le débat organisé par Hanouna, on s’en prend plein la gueule quand même.». On la retrouve finalement place Denfert-Rochereau, où les gilets jaunes ont déclaré une manifestation jusqu’au Sacré-Cœur. Elle a repris du poil de la bête. «Ça va mieux. Si on s’arrête, les choses vont continuer sans nous et pas dans le bon sens. Même si je ne suis pas pour la violence, samedi dernier ça m’a fait du bien. Ça fait 18 semaines qu’on s’en prend plein la gueule, c’était grisant. Si on avait continué à manifester gentiment on ne parlerait plus de nous», concède-t-elle. Aux abords de la place, les fouilles sont très intenses et orchestrées par un important dispositif de policiers à moto. Ceux qui se font prendre avec un masque ou des lunettes sont verbalisés : 135 euros. Un homme, une banderole tenant entre deux morceaux de bois, est mis à l’écart par six policiers à moto. A côté de lui, un photographe sans carte de presse est également fouillé. Les deux sont finalement embarqués au poste de police du 13e arrondissement, puis libérés. Le manifestant s’est vu retirer sa banderole. Idem pour un journaliste et sa casquette doublée d’une coque en plastique.

 

«Milieu de mois»

En terrasse, deux mères de famille sont parvenues à éviter les contrôles en prenant un Uber depuis les Yvelines. Elles touchent à peine plus d’un smic, «la fin de mois est difficile, le milieu de mois aussi». «Le mouvement va changer on va devenir de plus en plus vicieux», prédisent-elles. D’habitude, elles viennent en groupe. Ce samedi, elles ne sont que toutes les deux. «Y en a qui ont eu peur, c’est sûr», regrettent-elles. Un autre groupe, venu de Saint-Etienne pour l’occasion, les rejoint. Eux sont arrivés dans la nuit dans le quartier et ont dormi dans leur voiture pour éviter les contrôles. Une manifestante justifie sa présence ce samedi: «Pour moi la vie était dure mais c’était de ma faute parce que je n’avais pas d’emploi et j’étais mère célibataire. Puis je suis allé à la première manifestation de ma vie le 17 novembre. Et je me suis renseigné ensuite. J’ai tout découvert, la politique, la police, les politiciens corrompus. Je peux vous dire que je ne suis pas redescendue depuis.»

En début d’après-midi, le cortège de quelques milliers de manifestants se met finalement en marche à train rapide. Dans les rangs, on se félicite d’être si nombreux malgré la crainte qui a fait douter certains d’entre eux. Ceux qui sont là se disent fiers d’être présents malgré le contexte. En route jusqu’au Sacré-Cœur sans heurts, Patricia prédit : «Ça va être calme cette fois. Je pense désormais qu’on fera un gros mouvement par mois.»

Vers 17 heures, alors que la manifestation arrivée au Sacré-Cœur commence à se disperser, un cortège repart reparti vers le centre de Paris. Arrivés d’un bon pas sur le boulevard de Strasbourg, un des grands axes menant à la place de la République, les manifestants sont  bloqués par un rideau de CRS et de camions. Des poubelles sont incendiés et des devantures de banques vandalisées. Les forces de l’ordre tirent des grenades lacrymogènes pour disperser le dernier cortège en tête duquel se trouvaient plusieurs jeunes, sweats à capuche et foulards sur le nez. Les renforts de police sont très vite arrivés, un canon à eau a été utilisé pour éteindre les feux de poubelle. Peu après 17H30, les manifestants refluent et s’éparpillent dans les rues alentours.

Le déploiement des forces de l’ordre a été massif pour cet acte XIX du mouvement.  D’après les estimations du ministère de l’Intérieur, régulièrement contestées par les «gilets jaunes», 3 100 personnes avaient. manifesté à Paris. A 17 heures, il y avait eu 70 interpellations dans la capitale, 6 825 «contrôles préventifs» et 49 verbalisations sur le périmètre interdit, selon la préfecture.

Sorgente: Gilets jaunes : de nombreux contrôles, «une instruction du nouveau préfet, un cow-boy» – Libération

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