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Six ans après l’explosion du scandale de la viande de cheval, la société Spanghero retourne devant la justice ce lundi. L’affaire est devenue le symbole d’une filière bovine opaque.

L’affaire des 795 kilos de viande polonaise suspecte écoulés frauduleusement en France tombe en plein procès Spanghero. Et l’audience, qui reprend ce lundi à Paris, devrait relancer le débat sur l’opacité de la filière, en mettant en lumière un volet du dossier moins médiatisé que les 750 tonnes de viande de cheval déguisées en viande de bœuf qui avaient fait scandale à l’époque. «Entre mars 2012 et janvier 2013, 83 tonnes de viande de mouton et d’agneau provenant du Royaume-Uni ont été vendues par un trader à la société Spanghero. Cette viande destinée à la fabrication de merguez était pourtant invendable», explique Raphaël Bartlomé, responsable du service juridique de l’association de consommateurs UFC-Que choisir, partie civile dans ce dossier. Cette viande aurait été obtenue par un procédé spécifique consistant à enlever la chair des os à l’aide de moyens mécaniques ; on parle de «viandes séparées mécaniquement» (VSM).

Tromperie

«Ces produits peuvent contenir des résidus d’os, de cartilages ou de moelle», explique sur son site le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. «Or, à la suite des crises liées à la vache folle et à la tremblante du mouton, la réglementation européenne a interdit les VSM à partir d’os de ruminants, poursuit Raphaël Bartlomé. Ces résidus de viande potentiellement dangereux n’auraient donc jamais dû se retrouver dans des circuits commerciaux. Dans ce dossier, des risques sanitaires viennent donc s’ajouter à la tromperie des consommateurs.»

Ainsi, l’affaire Spanghero n’en finit pas de révéler l’opacité des circuits commerciaux de la viande. La composition des plats industriels n’apparaît guère plus transparente, d’autant que l’on assiste, comme le dit l’office agricole FranceAgriMer, à l’«avènement de la viande ingrédient». Pour Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’UFC-Que choisir, le scandale des lasagnes au cheval aura au moins eu un mérite : «Révéler l’opacité et la complexité impressionnantes des sources d’approvisionnement des industriels et leur quête perpétuelle d’ingrédients les moins chers possible.»

Pourtant, force est de constater qu’il en faudrait davantage pour nous dégoûter : avec 23,7 kilos par an et par habitant, les Français s’imposent toujours comme les champions d’Europe des consommateurs de viande bovine. Mais qu’entend-on exactement par «viande de bœuf» ? La question mérite d’être posée lorsqu’on sait que le bœuf à proprement parler ne représente que 7 % de la consommation de viande bovine en France, tandis qu’environ 80 % repose en fait sur des vaches et des génisses. Ces femelles, dont la viande est plus rouge et donc plus appétissante pour les Français, sont soit des vaches dites «allaitantes» (terme pudique qui désigne en fait les races à viande), soit des vaches laitières. Ces dernières représentent pas moins de 40 % de la viande bovine consommée en France. Rien d’illégal, mais il faut bien reconnaître que commercialement parlant, «pur bœuf», ça sonne mieux que «vaches laitières»…

Après avoir été exploitées toute leur vie pour leur production de lait, elles sont envoyées à l’abattoir à l’âge de 5 ou 6 ans. Ces vaches «réformées» (c’est le terme utilisé) finissent souvent en plats préparés : kebab, rôtis, brochettes… La «viande transformée» est ainsi composée pour moitié de vieilles vaches à lait. Elles alimentent aussi abondamment le marché du steak haché, mais pas que : «Les rayons libre-service des grandes surfaces absorbent le tiers de la production de vaches laitières», détaille un document, «Où va le bœuf ?», édité en octobre 2015 par l’Institut de l’élevage.

Low-cost

Il en est de même dans la restauration hors domicile (RHD, qui regroupe la restauration collective et commerciale), où 40 % de la  viande «de bœuf» est en fait de la viande de vaches laitières réformées, et où seulement 24 % est d’origine française. Car, tandis que la France exporte de jeunes bovins (des mâles destinés à être engraissés), elle importe des vaches réformées. Au total, un quart de la viande bovine consommée dans l’Hexagone provient de l’étranger.

Dans le cadre de ces importations, la brochure éditée par l’Institut de l’élevage note une progression des importations low-cost venues de Pologne, lesquelles représentent désormais 6 % de nos achats de viande bovine à l’étranger. La Pologne, où un scandale vient donc d’éclater : Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, révélait vendredi que sur les 2,7 tonnes de bœuf polonais avarié vendue dans treize pays de l’UE, 795 kilos avaient été écoulés dans neuf entreprises françaises de négoce.

Cette viande est issue de l’abattoir de Kalinowo, dans lequel un journaliste d’investigation polonais s’était fait embaucher durant trois semaines. Ses images, tournées en caméra cachée, montraient des vaches malades traînées au sol, mises à mort, puis découpées en l’absence de tout contrôle. Samedi, le ministère annonçait que la totalité de cette viande frauduleuse avait été «retrouvée» mais pas forcément récupérée : environ 150 kilos auraient déjà été vendus à des consommateurs, notamment dans des boucheries.

Sarah Finger

Sorgente: Spanghero : les consommateurs, vaches à lait des pros du bœuf – Libération