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S’il est trop tôt pour connaître avec exactitude la nature de l’arme qui a blessé le manifestant, les enquêteurs orientent leurs recherches vers la grenade dite de désencerclement. La police des polices a été saisie par le préfet Michel Delpuech.

Une nouvelle fois, la vidéo est difficilement soutenable. Il est aux alentours de 16 heures ce samedi sur la place de la Bastille, à Paris, lorsqu’une grenade est jetée par les forces de l’ordre en direction d’un groupe de gilets jaunes. L’un des leaders du mouvement, Jérôme Rodrigues est alors en plein live sur Facebook, smartphone à la main. Il converse calmement avec des street medics, invite ses comparses fluorescents à quitter la Bastille pour converger vers République, lorsque, soudain, une grenade explose à ses pieds.

La suite est vertigineuse. Atteint à l’œil, semble-t-il par le galet expulsé d’une grenade de désencerclement, Jérôme Rodrigues s’effondre au sol. Les premières secondes, il ne crie même pas. A son chevet, ses camarades de manif hurlent : «les medics ! les medics ! Il y a un blessé. Il a été touché à l’œil putain. L’oeil a éclaté !» Le smartphone continue de filmer, en direction du ciel, avant que l’écran ne s’obscurcisse, laissant le son propager un terrible frisson. Semi-conscient, Jérôme Rodrigues susurre : «prévenez ma famille sur le live».

La «bande à Drouet»

La scène pose d’autant plus question que rien ne semble justifier le jet d’une grenade de désencerclement à ce moment-là. Des heurts ont eu lieu quelques minutes avant la détonation entre d’autres gilets jaunes et les forces de l’ordre, mais le live Facebook opéré par Jérôme Rodrigues documente de manière indiscutable le calme du personnage. L’homme, originaire de Seine-Saint-Denis, est un inconditionnel du mouvement des gilets jaunes. Membre du groupe, «la bande à Drouet» – en référence à Eric Drouet, autre leader de la contestation au président Macron -, Rodrigues est populaire grâce à ses directs sur Facebook, qui rassemblent parfois jusqu’à 20 000 personnes. C’est dire si cette blessure risque d’échauffer les esprits.

Jusqu’ici rétif à aborder la question des violences policières, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a cette fois réagi avec une promptitude qu’on ne lui connaissait guère. Dès 19h50, le locataire de Beauvau s’est fendu d’un tweet pour assurer que la «police des polices» (IGPN) – saisie par le préfet Michel Delpuech – «fera toute la lumière sur les incidents qui se sont produits place de la Bastille». Contactée par Libération, la préfecture de police n’a pas donné suite.

S’il est encore trop tôt pour connaître avec certitude la nature de l’arme qui a touché Jérôme Rodrigues à l’œil (un tir de balle de défense n’est pas à exclure), la grenade dite de désencerclement est pointée du doigt. Il ne faut toutefois pas la confondre, avec une autre grenade controversée, la GLI-F4, chargée, elle, de 26 grammes de TNT. Sur la vidéo, l’arrivée de la munition aux pieds de Jérôme Rodrigues est nettement visible. Composée de dix-huit galets en caoutchouc propulsés à près de 150 mètres par seconde, cette arme est mise en cause pour sa dangerosité depuis plusieurs années. Lors du mouvement contre la loi travail du printemps 2016, par exemple, cette grenade a causé deux très graves blessures. Le 26 mai 2016, Romain Dussaux, un manifestant, est touché à la tête. Opéré en urgence, il est placé dans le coma et souffre d’une fracture et d’un enfoncement de la boîte crânienne, d’un hématome sous-dural et d’une hémorragie méningée.

Zone crânio-faciale

Quelques mois plus tard, c’est un autre manifestant Laurent Theron, qui est, lui, gravement atteint et perd la vue d’un œil. Libération avait alors révélé que les expertises balistiques réalisées dans le cadre de ces enquêtes pointaient clairement le danger de cette arme «même dans le cadre d’une utilisation normale, rigoureuse et préconisée». La course des galets en caoutchouc n’est effectivement pas maîtrisée par les policiers même si le lancer est bien effectué. Avant son entrée en dotation, aux alentours des années 2000, le Centre de recherche et d’expertise de la logistique (Crel) du ministère de l’Intérieur n’avait pas pris la peine de tester la dangerosité de l’arme au niveau du visage. Le rapport réalisé à l’époque l’indiquait sans détour : «Aucune évaluation pour des tirs en zone crânio-faciale n’a été effectuée» car «la région thoraco-abdominale est, sur le plan statistique, la région la plus souvent atteinte lors des tirs». C’est pourtant à la tête qu’avaient été touchés ces deux manifestants. Comme d’autres avant eux.

Willy Le Devin Ismaël Halissat

Sorgente: Jérôme Rodrigues, figure des gilets jaunes, gravement blessé à l’œil à Paris – Libération

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