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Le rappel de l’ambassadeur français en Italie, jeudi, est une bonne réplique aux provocations de Rome, estime l’ex-ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine. Selon lui, les tensions s’apaiseront après le scrutin européen et avec des mesures concrètes, notamment sur la question migratoire.

L’ex-ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine analyse le rappel, jeudi, de l’ambassadeur de France en Italie, après la rencontre entre le leader du Mouvement Cinq Etoiles, Luigi Di Maio, et un représentant des gilets jaunes. Il replace cet événement dans un contexte européen dégradé, à l’approche des élections de mai.

Quelles séquelles cette crise peut-elle laisser dans les relations franco-italiennes ?

Le problème est réel et sérieux, mais il faut le replacer dans la durée. Les relations franco-italiennes n’ont pas toujours été exemptes de tensions, qu’il s’agisse de crises passagères ou de reproches de fond. Nous traversons actuellement une crise aiguë. Il était indispensable que le gouvernement français donne un coup d’arrêt, au vu de la nature des propos tenus récemment sur les gilets jaunes, comme sur le rôle de la France en Afrique. Cette réplique un peu vive, un peu spectaculaire, est excellente. Rappeler l’ambassadeur, c’est astucieux, cela attire l’attention sur la situation tout en faisant réfléchir. Il ne faut pas imaginer pour autant que cela ruine l’ensemble des relations entre les deux pays.

Quel rôle ont joué les élections européennes qui approchent dans cette montée des tensions ?

C’est un facteur clé. On se situe dans une logique de campagne électorale des deux côtés, bien que de manière plus marquée en Italie, avec une concurrence interne au gouvernement entre la Ligue et le M5S. Après les élections européennes, il faudra bien sûr rétablir une relation plus apaisée, notamment autour d’une meilleure gestion concertée des flux migratoires. Les partis au pouvoir en Italie seraient tout autres si, pendant des années, l’Europe n’avait pas laissé le pays seul en première ligne sur cette question.

La question de l’extradition des «terroristes» des années de plomb qui vivent actuellement en France pourrait-elle créer d’autres tensions ?

Je ne le pense pas, puisque ce qu’on dit généralement sur la «doctrine Mitterrand» est inexact : il n’y a jamais eu de politique visant à protéger des gens suspectés, ou a fortiori condamnés pour assassinat. Pour la plupart des cas dont on parle, il n’y a même jamais eu de demandes d’extradition posées par l’Italie à l’époque.

En faisant du ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, l’adversaire principal du «camp progressiste» européen, Emmanuel Macron ne rentre-t-il pas dans son jeu ?

Les tensions avec la Pologne et la Hongrie sont retombées ces derniers mois, à l’inverse de celles avec l’Italie. Mais il ne faut pas surestimer le poids de Salvini. Il a une certaine influence sur les pays qui critiquent la politique migratoire européenne, mais ça ne va plus loin. Il n’a aucune influence en Allemagne, par exemple. De son côté, Emmanuel Macron est un vrai idéaliste sur le sujet de l’Europe. C’est une part de son discours qui n’est ni technique ni électoraliste, mais qui renvoie à des convictions profondes. Il n’a jamais abandonné l’idée d’une Europe qui protège mieux. C’est bien sûr une vision à long terme, qu’il faut articuler avec des mesures précises et un programme à l’approche des élections européennes. Par exemple, les projets de taxation des Gafa [Google, Apple, Facebook et Amazon, ndlr], dont la France est l’un des principaux acteurs, ou les mécanismes pour continuer à commercer avec l’Iran malgré la sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire.

L’idéal européen a-t-il déjà connu une phase aussi critique qu’aujourd’hui ?

Il faut manier ce terme d’idéal européen avec des pincettes, et ce dès les origines de l’Union. Les premières ébauches de construction européenne sont un mode d’organisation des crédits du plan Marshall, lancé par des atlantistes, bien plus qu’un idéal. On n’a jamais vu de manifestation populaire demandant plus d’Europe. Des petits groupes ont pu porter la vision d’une Europe vraiment fédérale mais les peuples ne sont pas sur cette ligne. Même Jacques Delors, qui était très pro-européen tout en étant très pragmatique, parlait uniquement d’une «fédération d’Etats-nations». Il n’a jamais alimenté la machine fédéraliste. Il ne faut pas voir la crise de l’idéal européen comme une chose soudaine, c’est un processus de très long terme et un problème de fond depuis longtemps. Le traité de Maastricht a été adopté avec un point d’avance seulement en France. Le traité de 2005 a été rejeté bien plus largement par les Néerlandais que par les Français, alors que c’est l’un des peuples les plus pro-européens. On ne peut pas résumer la crise que traverse l’Europe à une opposition de deux visions, populisme contre progressisme.

Comment endiguer les populismes en Europe ?

En commençant par en traiter les causes. Le principal vecteur du populisme est un sentiment de dépossession et de déclassement, à la fois économique et culturel. Si on arrive à démontrer aux Européens que les flux migratoires vont être gérés sérieusement, y compris avec les pays de départ et de transit, et que le droit d’asile doit être protégé, sans être utilisé pour des migrations déguisées, le populisme baisserait probablement de quatre ou cinq points partout. C’est l’une des façons de le traiter. Dans certains cas, il faut écouter ce que disent les populismes, reconnaître certains problèmes pour les résoudre d’une manière appropriée. Dans d’autres, il faut réagir frontalement, les combattre sur un plan conceptuel et pratique. C’est la raison pour laquelle la France a eu raison de rappeler son ambassadeur en Italie.

Le sentiment de déconstruction de l’Europe prévaut-il aujourd’hui sur celui de construction ?

Il n’y a pas de déconstruction pour la simple raison que les institutions fonctionnent. Mais la vieille théorie du vélo, pour laquelle il faut continuer à avancer pour ne pas tomber, ne tient plus. L’Europe changera peu dans les années qui viennent. Des avancées pourront avoir lieu, comme sur la fiscalité des Gafa, mais ce ne sera pas un saut en avant. Je ne crois pas non plus à un recul : même les eurosceptiques les plus énervés ne veulent pas renoncer aux acquis de l’Europe.

Christian Losson Nelly Didelot

Sorgente: «Face aux populismes, il faut parfois réagir frontalement» – Libération

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