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Figure emblématique de la sauvegarde des forêts brésiliennes, le cacique amérindien, de passage à Bordeaux, espère remobiliser, trente ans après sa tournée avec Sting.

Par Aude Massiot, Envoyée spéciale à Bordeaux

Sa grande coiffe jaune, ses yeux perçants et son plateau labial l’ont rendu célèbre dans le monde entier. A 89 ans, le cacique Raoni Metuktire s’est de nouveau rendu en Europe pour se faire le porte-voix du peuple kayapo et, plus largement, des communautés autochtones de l’Amazonie brésilienne. Invité à Bordeaux pour le festival Climax, organisé du 5 au 8 septembre par l’organisation Darwin (lire encadré), il n’aurait pu tomber à un meilleur moment pour faire entendre ses revendications. Alors que le monde regarde, hypnotisé, la forêt amazonienne brûler – feux en grande partie provoqués par des humains pour défricher – Raoni alerte sur les politiques destructrices du président brésilien Jair Bolsonaro. Depuis son arrivée au pouvoir en janvier, l’ex-militaire d’extrême droite défait délibérément les régulations et protections permettant aux populations autochtones de préserver certaines zones de la forêt. Dans la chaleur étouffante bordelaise, on rencontre Raoni et sa délégation familiale dans le hall de l’aéroport, alors qu’ils s’apprêtent à partir pour Londres. Fatigué par son séjour – il s’est rendu au G7 où il a de nouveau rencontré Emmanuel Macron -, Raoni laisse par moments son neveu et fidèle conseiller Megaron Txucarramae, un grand homme aux longs cheveux gris, répondre à sa place.

Depuis votre tournée médiatique mondiale de 1989, comment la situation a-t-elle évolué pour votre communauté ?

Raoni : En 1989, notre tournée avec le chanteur Sting a été très positive. Nous avions récolté beaucoup d’argent et le retentissement de la campagne nous avait permis de démarquer un très important territoire : la réserve protégée de Mekragnotire, trois millions d’hectares au cœur de l’Amazonie. On ne sait pas où est passé le reste de l’argent.

Quel est votre principal message aujourd’hui ?

R. : Il faut arrêter de déforester. Cela fait longtemps que je vous passe ce message et que vous ne comprenez pas. Les conséquences seront catastrophiques. Aujourd’hui, nous voyons déjà très bien les effets du dérèglement climatique autour de nous. Nous sommes dans un état d’urgence.

Quels moyens d’action l’Europe peut-elle faire jouer ?

R. : On a besoin de votre soutien pour protéger les territoires démarqués, empêcher qu’ils soient vendus ou loués. Plus que ça, nous avons besoin de créer d’autres réserves naturelles dans cette forêt, qui est cruciale pour la régulation du climat planétaire.

N’avez-vous pas peur que Bolsonaro affaiblisse la Constitution et renie les droits autochtones qui y sont inscrits ?

R. : Je suis très préoccupé par ce que Jair Bolsonaro dit. Il incite à détruire l’Amazonie et soutient l’extractivisme minier, le commerce du bois et l’expansion des plantations de soja. La situation devient difficile pour nous car ces gens commencent à envahir nos territoires protégés par la loi. Nous avons besoin d’aide et de moyens pour surveiller les limites des réserves.

Megaron Txucarramae : C’est la préoccupation de tous les peuples autochtones du Brésil. Nous avons peur qu’il change la Constitution de 1988, qui nous donne le droit à des territoires par notre seule présence ancestrale sur ces terres. Bolsonaro veut «intégrer» les peuples autochtones à la société brésilienne. Ce sont ses mots. Pour cela, il veut créer un groupe de travail qui va analyser les territoires qui sont déjà démarqués, dans le but de nous en enlever la responsabilité. En ce moment, tout le monde regarde l’Amazonie prendre feu. Plusieurs chefs des Etats brésiliens, du Mato Grosso, de l’Amazonas, de Rondônia, du Tocantins et de l’Amapá, se sont rassemblés pour aider à lutter contre les flammes. Bolsonaro a aussi débloqué des moyens pour cela, mais il n’a pas parlé de comment lutter contre les causes premières de la déforestation sur le long terme. Une des solutions les plus efficaces est que les peuples autochtones puissent continuer à préserver la nature.

Que peuvent faire les citoyens français pour aider ?

M.T. : Nous avons besoin du soutien de la population. Pas seulement de dons financiers, mais aussi d’un changement de comportement. Il faut faire attention aux produits achetés, pour ne pas soutenir la production de soja [en très grande majorité utilisée pour nourrir les animaux d’élevage, ndlr], repenser la construction des routes dans l’Amazonie, la construction des barrages hydroélectriques, des voies ferrées. Les grands pays industrialisés doivent prendre conscience des conséquences de leur consommation et évaluer comment éviter ces dérives.

Les autochtones aimeraient-ils que leurs peuples n’ait jamais rencontré l’homme blanc ?

R. : Si l’homme blanc n’avait pas envahi et occupé nos terres, nous n’aurions pas à être là, en France, aujourd’hui. Notre culture et nos coutumes auraient été préservées.

M.T. : Si cela ne s’était pas passé dans ces conditions, cela ne nous poserait pas de problème. Mais comme les Blancs ont envahi et occupé nos terres, oui, nous aurions préféré ne pas les avoir rencontrés. Nous n’avons rien demandé, c’est l’homme blanc qui est venu. Quand j’avais 6 ans, mes parents ont eu leur premier contact avec l’homme blanc. Ils ont pris nos terres et nous avons dû déménager dans un parc protégé. Sans cette occupation, ce serait plus simple de rester forts et unis au sein des communautés.

A 89 ans, comment trouvez-vous l’énergie pour continuer à vous battre ?

R. : Ce n’est pas par hasard que j’ai cette force. Mon père m’a longtemps préparé à cette tâche.

Les peuples autochtones ont-ils l’impression de perdre leur spiritualité liée à la nature ?

R. : L’occupation de l’homme blanc change notre culture, nos habitudes, nos rituels. Les jeunes découvrent une nouvelle façon de vivre et délaissent nos coutumes et notre langue. Ils commencent à parler portugais et à vouloir être intégré dans cette nouvelle vie.

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Croyez-vous que le président Macron va tenir ses promesses ?

R. : Oui, je crois à ce qu’il a dit. Nous avons vraiment besoin du million d’euros qu’il a promis. Et il ne doit pas passer par des intermédiaires, pour être certain que l’argent ne soit pas accaparé avant de nous parvenir.

Sorgente: Chef Raoni : «La forêt est cruciale pour le climat planétaire» – Libération

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