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A l’issue d’un rassemblement devant le siège de la filiale de la Poste, mardi, une délégation a été reçue. Mais Chronopost nie toute responsabilité dans la situation de ces travailleurs sous-payés et maintenus contre leur gré dans l’illégalité.

Dans le sud de Paris, le boulevard Romain-Rolland est une zone de bureaux entièrement dépourvue d’âme où personne ne songerait à passer un après-midi d’été. C’est pourtant là, coincés entre le périphérique et la façade indifférente du siège de Chronopost, que la quarantaine de travailleurs sans papiers du centre de tri d’Alfortville (Val-de-Marne), en grève depuis quatre semaines, se sont réunis près de quatre heures mardi. Avec un certain succès : la direction de Chronopost a fini par recevoir une délégation.

Rassemblement es travailleurs sans papiers de Chronopost devant le siège au 3 boulevard Romain Rolland le 9 juillet 2019

Le mouvement a débuté le 11 juin : ce jour-là, une trentaine de travailleurs commencent à occuper leur lieu de travail. Leurs revendications tiennent en deux mots : régularisation, titularisation. Venus du Mali, du Sénégal ou encore de Guinée, ils sont les derniers maillons intérimaires d’une longue chaîne de sous-traitance. Jean-Louis Marziani, de SUD Solidaires, remonte la piste : «Ils sont recrutés par une société d’intérim qui les adresse à Derichebourg, qui les fait travailler au centre de tri d’Alfortville de Chronopost.» La maison mère de Chronopost, c’est la Poste, entreprise publique, deuxième employeur de France après l’Etat. Les cascades de sous-traitance, elle connaît : la veille du rassemblement, elle a été condamnée à une amende de 120 000 euros pour «prêt de main-d’œuvre illicite», six ans après la mort d’un livreur malien, Seydou Bagaga, en janvier 2013. Il avait plongé dans la Seine pour sauver un colis qu’il avait fait tomber. Il s’était noyé. Il travaillait alors pour DNC Transport, dont le donneur d’ordre était Coliposte, filiale de la Poste.

«En quatre heures, j’en scanne mille et quelques»

Autant dire donc que l’entreprise publique, dont l’adaptation aux mœurs du privé se fait à marche forcée, est actuellement dans une position inconfortable. Et ce que les sans-papiers de Chronopost ont à dire ne joue pas en sa faveur. Tous racontent les cadences intenables et les risques encourus s’ils s’aventurent à demander les documents nécessaires pour déposer une demande de papiers à la préfecture. A l’image d’Amadou (1) : Malien arrivé en France «le 11 janvier 2018» – il a retenu la date, la répète plusieurs fois – après avoir traversé, avec 35 personnes, la Méditerranée sur «ce qu’on ne peut même pas appeler un bateau», il a commencé à travailler chez Chronopost à l’automne 2018. Sa mission, de 17h30 à 21h30 avec parfois des heures supplémentaires («non payées») : charger et décharger des camions, et scanner des colis. «En quatre heures, j’en scanne mille et quelques, et je fais le tri entre ceux qui partent pour Bordeaux, Toulouse…» raconte-t-il. Il dit avoir été sous-payé (600 euros au lieu de 900 euros en décembre), et quand il a réclamé, on lui a signifié la fin de sa mission. D’autres, s’ils veulent arriver sur site à 3 heures du matin et se lancer dans un tri effréné de colis jusqu’à l’aube, doivent se lever à 1 heure du matin pour prendre un Noctilien depuis Corbeil-Essonnes, Grigny ou le XIXe arrondissement de Paris. Grâce à quoi les clients recevront leur machine à café ou leur smartphone en temps et en heure.

Rassemblement es travailleurs sans papiers de Chronopost devant le siège au 3 boulevard Romain Rolland le 9 juillet 2019. Christian Favier, président (communiste) du département.

Christian Favier (à droite), président PCF du département du Val-de-Marne, parmi des travailleurs mobilisés.

Pour obtenir des papiers en France, il faut prouver avoir travaillé un certain nombre d’heures au cours des derniers mois. C’est ce que prévoit la «circulaire Valls», du nom d’un ancien ministre de l’Intérieur. Mais l’irrégularité des contrats d’intérim ne permet que rarement de justifier du temps de travail requis, sans compter les difficultés liées au fait que de nombreux sans-papiers sont obligés de travailler sous un alias. L’ensemble «fait système», comme on dit : les employeurs abusent des sans-papiers car ils risquent l’expulsion, et les sans-papiers risquent l’expulsion car les employeurs abusent d’eux. Mardi après-midi, plusieurs responsables syndicaux et politiques se sont succédé au micro pour le dénoncer : Nathalie Arthaud, porte-parole de Lutte ouvrière, soulignant que «quand on est sans papiers, ce sont les profiteurs, petits et grands, qui peuvent faire leur loi» ; Eric Coquerel, député La France insoumise, estimant que tout le monde doit avoir «le même contrat de travail» ; Christian Favier, président (communiste) du département du Val-de-Marne, rappelant que le recours à la sous-traitance au sein de la Poste est passé de 25% à 73% en Ile-de-France depuis 2006 (selon le syndicat SUD PTT).

Rassemblement des travailleurs sans papiers de Chronopost devant le siège de l'entreprise au 3 boulevard Romain Rolland le 9 juillet 2019. Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière.
Prise de parole de Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière).

Chronopost dans le déni

La semaine dernière, une rencontre avec la préfecture a eu lieu, en présence notamment du député du Val-de-Marne Luc Carvounas (PS), engagé auprès des grévistes depuis le début du mouvement. La préfecture «a pris note des demandes», mais sans encore les exaucer, selon Jean-Louis Marziani. Le nerf de la guerre, ce sont les documents que doivent délivrer les employeurs pour permettre aux travailleurs de compléter leur dossier de demande de régularisation. Pour les syndicats, c’est à Chronopost, le donneur d’ordre, de prendre ses responsabilités et de les délivrer.

Rassemblement es travailleurs sans papiers de Chronopost devant le siège au 3 boulevard Romain Rolland le 9 juillet 2019

Quand ils sont finalement entrés dans le siège de Chronopost pour discuter avec le DRH du groupe, mardi en fin d’après-midi, les cinq représentants du mouvement n’attendaient pas de miracle. Il n’a pas eu lieu. «Le discours de Chronopost, c’est : “Nous ne sommes pas les employeurs, nous sommes des victimes également”» résume Eddy Talbot, de SUD PTT. Mais tout de même, dit-il, la société a l’air «embêtée». Au même moment ou presque, le sujet remontait aux oreilles du gouvernement, par la voix de Luc Carvounas qui interpellait Muriel Pénicaud lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale : «Nous ne pouvons pas nous contenter des différentes réponses des employeurs, directs ou indirects, qui se contentent de se décharger de la question sur un tiers», a-t-il dit, demandant à la ministre du Travail une enquête sur la sous-traitance à la Poste.

Rassemblement es travailleurs sans papiers de Chronopost devant le siège au 3 boulevard Romain Rolland le 9 juillet 2019

Frantz Durupt photos Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération

Sorgente: Les sans-papiers de Chronopost Alfortville maintiennent la pression – Libération

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