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Des amis de Steve Maia Caniço, le 25 juin, quai Président-Wilson sur l'île de Nantes, là où a eu lieu la soirée de la Fête de la musique.

Des amis de Steve Maia Caniço, le 25 juin, quai Président-Wilson sur l’île de Nantes, là où a eu lieu la soirée de la Fête de la musique. Photo Rémy Artiges pour Libération

Une semaine après l’intervention de la police, pour mettre fin à la Fête de la musique sur le quai Président-Wilson, une centaine de personnes souhaitent témoigner – et pour la majorité, porter plainte.

«Bien sûr que je veux témoigner, c’est impossible de laisser passer.»Léa, 18 ans, a subi la charge policière du 22 juin au matin, à Nantes sur le quai Président-Wilson. Charge qui a entraîné la chute de plusieurs personnes dans la Loire – et depuis laquelle Steve Maia Caniço, un jeune homme de 24 ans, est porté disparu. L’enquête pour disparition inquiétante, ouverte par le parquet de Nantes, vient d’être confiée à un juge d’instruction. Une autre enquête, administrative, est menée par l’IGPN pour éclairer les conditions de la charge de police.

Comme la lycéenne, ils sont nombreux à vouloir raconter ce qu’ils ont vécu pendant la nuit de la Fête de la musique. Mais aussi à porter plainte. L’association Média’son aurait déjà recueilli une centaine de témoignages. Ce collectif qui réunit les sound systems de la région joue habituellement le médiateur entre organisateurs de soirée et autorités.

«Scène de guerre»

Thibaud (1), qui accompagnait Léa ce soir-là, a déjà tenté de porter plainte mais dit avoir essuyé un refus. Le 22 juin vers 4h30 du matin, il marche sur la route qui longe le terrain vague, derrière la dizaine de sound systems plantés en bord de Loire. «Ça s’est échauffé, j’ai vu des policiers descendre de leur voiture. Je n’ai rien compris», poursuit le lycéen de 17 ans. Puis viennent les gaz lacrymogènes, la charge des forces de l’ordre et le mouvement de foule. Thibaud monte alors sur des rochers qui séparent la terre du bitume pour prendre la mesure de la situation. «Avec un ami, on s’est accroupis près d’un homme au sol, qui avait l’air sonné.» Il n’a pas le temps de se retourner et reçoit du gaz lacrymogène en plein visage. Un instant qu’il dit d’ailleurs reconnaître sur l’une des rares vidéos diffusées des événements.

Puis Thibaud voit «deux policiers plaquer un homme sur le ventre, sur un des rochers. Ils lui donnent des coups de matraque, son tee-shirt est déchiré». Il veut aller l’aider, mais les coups de matraque continuent de pleuvoir, il en reçoit un sur la main droite. Le lycéen s’en sort avec 21 jours d’interruption totale de travail (ITT). «Fracture de la première phalange de l’index», dit le certificat médical établi le mardi suivant, que Libération a pu consulter. Comme lui, Léa a voulu aider un autre homme, lui aussi à terre. Elle dit avoir reçu des coups de matraque dans le dos : «Ce n’est peut-être pas nous que les policiers voulaient taper au départ, mais ils ne se sont pas pour autant arrêtés. On aurait dit qu’ils étaient là pour se défouler.» Finalement sortie de ce qu’elle qualifie de«scène de guerre», la lycéenne accompagne Thibaud aux urgences. Avec eux, un compagnon de fête du quai Président-Wilson qui avait «une blessure à l’arrière du crâne».

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Elno, quant à lui, roulait sa clope assis par terre quand il a été pris dans les nuages de lacrymo. Le jeune homme décrit la cohue, dans la nuit noire – la plupart des DJ avaient éteint leurs lumières – et les gaz opaques. «Plusieurs personnes m’ont dit après coup qu’elles couraient, désorientées, et qu’elles se sont arrêtées de courir quand elles ont vu des gens tomber [dans l’eau] devant elles.» Léa ne voit que deux options pour expliquer les nombreuses chutes dans la Loire : «Soit des gens ont volontairement sauté dans l’eau pour échapper aux gaz, soit des gens n’ont pas vu où ils allaient et sont tombés.»

Jérémy, 24 ans, était de la deuxième catégorie. «Les policiers ont lancé des grenades lacrymogènes sans aucune sommation», décrit cet opérateur en industrie chimique qui était alors proche du bord du quai. «J’ai voulu m’écarter et au bout de trente secondes, je ne voyais pas plus loin que le bout de mon bras, les fumées étaient denses, se souvient-il. J’ai fait un pas et j’ai senti le vide, j’ai perdu l’équilibre et je suis tombé dans l’eau.»

Emporté par le courant, Jérémy tente une première fois d’atteindre le bord sans y parvenir. «Je faisais du surplace et je commençais même à m’éloigner de plus en plus», décrit-il. En se laissant porter, il parvient finalement à attraper une corde. A ce moment, «une personne est passée juste à côté de moi et appelait à l’aide, il avait l’épaule luxée et n’arrivait pas à nager, poursuit le jeune homme. J’ai réussi à l’attraper par le col et il a pu se tenir à la corde.» Les secours mettront un long moment à les sortir de l’eau. Le jeune homme pense avoir passé au moins vingt minutes dans le fleuve.

Potentiels plaignants

C’est un Zodiac de la sécurité nautique atlantique (SNA), association mandatée depuis plusieurs années par la mairie pour être présents sur la Loire, afin de sécuriser la Fête de la musique, qui vient à son secours. «Alors qu’on était en train de finir de secourir une autre personne, on a eu l’information qu’il y a un mouvement de foule et que plusieurs personnes étaient tombées à l’eau», raconte à Libé un sauveteur présent sur le bateau de la SNA. Les conditions d’un drame sont alors réunies : «Il faisait sombre, il y avait du courant, 5-6 mètres de fond et aucune visibilité», explique le sauveteur. Avec ses collègues, ils parviennent à sortir quatre personnes de l’eau.

«On revient déposer les personnes au quai, on fait jonction avec les pompiers et on se met sous leur autorité», poursuit le sauveteur. Les pompiers aussi étaient en train de ramener à leur base, en amont de la Loire, une personne qu’ils venaient de récupérer quand des gens appellent le 18 pour signaler des chutes depuis le quai Président-Wilson. L’endroit ne dispose d’ailleurs ni de bouée ni de barrière, contrairement aux bords de fleuve de l’autre côté de l’île de Nantes, plus près du centre. En tout, onze personnes sont sorties de l’eau à ce moment-là, selon le dernier décompte des autorités. Ensemble, la SNA et les pompiers partent ensuite en direction du courant. «Il y avait le doute d’un disparu, on a ratissé dans une zone de recherche mais sans point de départ précis, c’était difficile», conclut le sauveteur de la SNA.

Sur la centaine de témoignages reçus par le collectif Média’son, «90 personnes indiquent leur intention de porter plainte», précise à Libération l’avocate Marianne Rostan, qui est en contact avec l’association. Pour elle, qui est habituée à défendre des participants ou des organisateurs de fêtes, «l’idée c’est de ne pas se précipiter». Média’son reprend actuellement contact avec les potentiels plaignants, pour qu’ils confirment leur volonté d’engager des poursuites. «Je ne sais pas encore ce qui relève d’infractions pénales, ajoute Marianne Rostan. Mais je pense qu’on peut au moins sans difficulté s’orienter vers une plainte pour “mise en danger de la vie d’autrui”.»

(1) Le prénom a été modifié.

Par Ismaël Halissat et Fabien Leboucq, envoyé spécial à Nantes 

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