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A moins de trois mois des municipales, l’ancien Premier ministre, qui a quitté la vie politique française pour briguer la capitale catalane avec le soutien des centristes libéraux de Ciudadanos, a du mal à s’imposer dans la ville de gauche et à convaincre face aux indépendantistes.

Lundi, Manuel Valls visitera le quartier d’Hortà, une zone périphérique du nord de Barcelone où de nombreuses personnes se réfugient pour fuir les flux touristiques massifs du centre-ville. Un déplacement qui ne doit rien au hasard, alors qu’a officieusement commencé la campagne pour les municipales du 26 mai. Mais, pour l’ancien Premier ministre français, c’est avant tout une démarche symbolique : ce sera aussi un pèlerinage dans son quartier natal, que sa famille a quitté pour rejoindre la France et qui a longtemps été pour lui le lieu rituel du veraneo – les vacances estivales.

Depuis l’an dernier, celui qui a quitté abruptement la scène politique française et qui parle aujourd’hui de son «retour» à Barcelone comme d’un «choix de vie» a assidûment préparé cette échéance et la gageure que constitue la prise de la deuxième ville d’Espagne. La capitale catalane reste en effet la locomotive économique du pays, malgré la tentation séparatiste qui a provoqué le départ de centaines d’entreprises.

Hispanophone, fort d’un catalan impeccable (sa langue maternelle avec l’italien), Manuel Valls a déjà sillonné de bout en bout les 73 quartiers de Barcelone. Mais il a aussi établi de nombreux contacts avec une partie de l’élite citadine et des personnalités influentes comme l’avocat Emilio Cuatrecasas ou l’entrepreneur Ramón Bordas. Façon de prendre le contre-pied de la principale critique qu’il reçoit, celle d’être un étranger ou, pour reprendre les termes de l’actuelle maire pro-Podemos, Ada Colau, «un parachuté de l’anti-indépendantisme». L’ancien maire d’Evry a tenté le tout pour le tout. En décembre, au cours de la présentation officielle de son projet pour Barcelone, il affirmait qu’en cas d’échec il renoncerait à poursuivre sa nouvelle carrière politique, sans toutefois quitter sa ville natale.

Trublion français

Pour être élu, il a adopté une stratégie très «macronienne» : au lieu de présenter une candidature corsetée dans une formation politique- même s’il est officiellement adoubé par les centristes libéraux de Ciudadanos -, Valls a construit une «plateforme électorale» qui réunit des personnalités diverses. Une sorte d’En marche municipal qui se dit «progressiste libéral» et s’appuie sur des profils éclectiques. Pour preuve, les noms que vient tout juste d’annoncer l’ancien Premier ministre français sur sa liste. Sa numéro 2 sera Mari Luz Guilarte (il l’a opportunément officialisé vendredi, Journée internationale des droits des femmes), experte en finances et bonne connaisseuse de la diplomatie européenne. Le candidat Valls aura aussi comme colistiers l’ancien ministre socialiste Celestino Corbacho ; mais aussi une transfuge démocrate-chrétienne issue du nationalisme modéré, Eva Parera ; ainsi qu’une activiste sociale implantée à Nou Barris, quartier septentrional et multiculturel, Noemí Martín Peña. Il s’est en outre entouré de trois spécialistes en communication proches de Pasqual Maragall, l’ancien maire socialiste qui avait organisé les Jeux olympiques de 1992. Cerise sur le gâteau : sa compagne, Susana Gallardo, une des grandes fortunes du pays – sa famille contrôle le groupe pharmaceutique Almirall, qui pèse 2,7 milliards d’euros en Bourse -, a un important carnet d’adresses.

Malgré tous ses efforts, Manuel Valls se heurte à quantité d’obstacles. A commencer par son statut de trublion français qui a débarqué sur la scène municipale avec fracas, et que beaucoup de Catalans considèrent comme illégitime pour les représenter«Il en est conscient, et c’est son principal souci : se faire accepter comme une personnalité qui aime la ville, qui en vient, qui veut que son destin et le sien soient imbriqués»,analyse le journaliste et essayiste Arcadi Espada. Il se compare d’ailleurs à Inés Arrimadas, la jeune et pétulante leader de l’opposition «espagnoliste», cheffe de file régionale de Ciudadanos, dont la famille est originaire d’Andalousie : «Nous avons en commun une chose : les gens nous disent de repartir chez nous ; et nous, nous leur disons que Barcelone est notre maison.»

L’autre grand obstacle pour Valls est qu’il est perçu par beaucoup comme le candidat de la bourgeoisie. «Il est évident que Valls est l’homme des élites, qu’il a été choisi par le système car Ada Colau est gênante pour les pouvoirs en place», affirme l’un des responsables de Barcelone en commun, la formation électorale de la maire, à la tête de la ville depuis quatre ans. Issue du mouvement contre les expulsions immobilières, sorte de Droit au logement (DAL) local, Ada Colau se définit précisément comme une «représentante du peuple». Alors que Manuel Valls défend la création d’un «Grand Barcelone» incluant les communes périphériques (3,5 millions d’habitants au total, soit près de la moitié de la population de Catalogne), elle réaffirme «le respect de l’autonomie des communes et du municipalisme».

«Accointances»

L’ancien maire d’Evry prétend, lui, «mutualiser» les services de l’agglomération barcelonaise, affirmant que «nous sommes dans le siècle des grandes métropoles. Autant nous y préparer». L’un des principaux arguments électoraux de Valls est de «construire» un Barcelone ouvert, mondialisé, «symbole d’une Europe forte et intégrée». Un Barcelone qui serait un modèle contre les dérives identitaires de tout poil. D’où la récente attaque du candidat libéral contre Colau et son entourage : «Je dénonce la coïncidence politique et tactique du nationalisme radical et du populisme municipal.» Les séparatistes catalans (dont les leaders sont actuellement jugés à Madrid), l’actuelle équipe municipale et les forces europhobes qui pullulent ? Même combat pour Manuel Valls.

Le hic est que ces adversaires décriés développent le même argumentaire contre lui. Et leur regard est tourné vers Vox, du côté opposé de l’échiquier politique. Ce parti d’extrême droite, jusqu’ici peu connu et qui a créé la surprise lors des récentes législatives andalouses, salit pour le moins sa réputation. Même si Manuel Valls a appelé Ciudadanos à ne pas franchir cette «ligne rouge», le parti libéral a fait alliance avec les populistes de droite, crédités d’un bon score aux élections générales du 28 avril. Encore plus gênant : le 10 février à Madrid, sur la place Colomb, l’ancien maire d’Evry a participé à une grande manifestation des droites, aux côtés des dirigeants de Vox… «Ces accointances compliquent et contaminent le discours politique supposément lisse du candidat français», souligne le journal en ligne InfoLibre dans un éditorial.

Le combat pour la conquête de Barcelone s’annonce de toute façon compliqué pour Manuel Valls : même si le candidat du Parti populaire (la droite classique) a promis de reporter ses voix sur lui, le favori reste pour l’heure Ernest Maragall, 76 ans, indépendantiste convaincu et frère de l’ancien maire socialiste Pasqual Maragall.

François Musseau correspondant à Madrid

Sorgente: Valls à Barcelone : c’est la cata, c’est la Catalogne – Libération

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