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29 March 2024
0 14 minuti 5 anni

Avec près de 200 escales de bateaux en haute saison, «Nissa la bella» est le troisième port urbain d’Europe le plus vicié par le soufre. Ses habitants réclament des mesures pour contraindre les navires à utiliser le diesel marin, à l’exemple de la flotte qui circule dans les mers du nord de la France.

Pour se rendre chez Dirk et Monique, inutile de s’attarder au portail. Il faut emprunter l’allée perpendiculaire au quai du Commerce, sur le port de Nice. S’y dresse une bâtisse blanche et carrée, entourée d’un jardin tiré au cordeau. C’est Dirk qui accueille. Il ne peut pas serrer la pince, ses mains sont mouillées. Le retraité passe un coup d’éponge sur la voiture. Après, il lavera la table du jardin. Pour Dirk, il n’y a aucun doute : le noir qu’il enlève «tous les deux jours» de son mobilier de jardin vient des cheminées des navires de croisière et des ferries. «On habite ici depuis vingt ans. On a toujours été obligés de laver la cour avec le Kärcher. Ce carburant brûlé a du mal à partir à l’eau. Il s’accroche, dit-il, inquiet de la qualité de l’air qu’il respire. L’été, tout se salit plus vite en fonction du nombre de bateaux qui s’amarrent.»

Entre avril et septembre, «182 escales [de Corsica Ferries, les navires faisant la liaison entre la Corse et le continent] sont prévues, décompte la Chambre de commerce et d’industrie Nice Côte d’Azur. Pour la saison estivale, on prévoit une moyenne de deux départs par jour.» Des rotations auxquelles il faut ajouter onze voyages pour la Sardaigne et six pour la Sicile. En 2019, 85 bateaux de croisière passeront également sous les fenêtres de Dirk et Monique. Cette circulation intense fait de Nice le troisième port urbain le plus pollué en soufre d’Europe, après Marseille et Le Havre, selon l’organisation européenne Transport et Environnement. En 2017 et sans compter les ferries, 5 563 kilos d’oxyde de soufre ont été relâchés dans l’air niçois durant les 2 574 heures d’escale des croisières. D’après une étude de ce regroupement d’ONG, 200 navires croisant près des côtes méditerranéennes émettent autant d’oxyde de soufre que toutes les voitures d’Europe.

Le Pascal Lota, bateau rapide de Corsica Ferries, vient de s’amarrer. Sa coque jaune se reflète dans les fenêtres de la chambre du couple. Monique fait le lit et rassure son goéland domestiqué. Pour la manœuvre, le navire a mis les gaz. Le panache de fumée noire continue de s’élever dans le ciel. Une fois à quai, les moteurs restent en marche : il faut l’alimenter en électricité et en air conditionné. Sur le balcon de la chambre, Monique lève le nez : «On sent qu’on respire de la fumée. Vous ne le percevez pas ?» Effectivement, on a l’impression d’avoir les narines collées au pot d’échappement d’une voiture qui démarre. «Un pot d’échappement mal réglé, précise l’Azuréenne. Quand il y a le nuage noir, je suis obligée de fermer les fenêtres précipitamment. L’été, au moment du repas, il nous arrive de quitter le jardin pour finir de manger à l’intérieur.» Le couple a fait installer une climatisation pour les chambres avec un filtre changé deux fois par an. Il nettoie aussi les fenêtres et les volets, devenant régulièrement noirs de pollution. «On a la chance de ne pas être asthmatiques mais on se protège car je suis inquiète pour ma santé, dit-elle. Toutes ces particules fines et ce soufre se déposent certainement dans nos poumons.» Monique est aussi devenue une experte en analyse du vent. Elle se fie aux drapeaux et à la manche à air que l’on aperçoit depuis la terrasse. «Aujourd’hui, c’est le mistral. La pollution revient vers nous, décode-t-elle. D’habitude, le vent d’est est dominant : les fumées sont rabattues en face.» En face, c’est le bassin Lympia, le port historique de Nice encadré par les immeubles ocre et leurs volets à persiennes. Un port en plein centre-ville qu’une association veut préserver de la pollution.

Grand chassé-croisé

C’est pendant l’été 2016 que Gérard Bonnes et Daniel Moatti ont créé l’Association niçoise pour la qualité de l’air, de l’environnement et de la vie (Anqaev). Le duo donne rendez-vous dans un snack face au port. Premier réflexe : frotter l’index sur la table. «On le sent, il y a du noir, note le premier, ingénieur à la retraite. Pourtant, je connais ce restaurant, il est plutôt propre.» Les deux hommes sont venus équipés : rapport de la Cour des comptes européenne, articles de presse, graphiques et détecteur de pollution de l’air. Le boîtier a repéré un pic à 15 heures, au moment de la sortie d’un navire. Car derrière eux, c’est le grand chassé-croisé des Corsica Ferries. Le Pascal Lota est déjà reparti vers Bastia. Il a été remplacé par le Mega Express 4 en provenance d’Ajaccio. Et dans le port, le Club Med 2 est à quai, moteurs allumés. «Nous demandons un accord de tous les Etats méditerranéens, embraye Daniel Moatti, chercheur à l’université. Nous exigeons que les bateaux utilisent un combustible avec une concentration maximale de 0,1 % de soufre. Au moins lorsqu’ils manœuvrent et restent à quai.»

Car les législations sont différentes. En Méditerranée, les navires brûlent du fuel léger, un carburant contenant 1,5 % de soufre, 1 500 fois plus polluant que le diesel des voitures. De l’autre côté du continent, en mer du Nord, dans la Baltique et la Manche, la flotte est contrainte d’utiliser le diesel marin dosé à 0,1 %. «On n’est pas médecins, ni l’un ni l’autre. Mais on part d’un constat : les habitants de Nice ne sont pas plus résistants à la pollution que ceux du Havre ou de New York, insiste Gérard Bonnes, ancien ingénieur. On veut donc les mêmes protections car nous sommes confrontés aux mêmes expositions.» En janvier 2020, un petit pas sera fait : la législation imposera l’utilisation du combustible à 0,5 % en soufre partout en France. C’est cette date qu’attend Corsica Ferries pour s’adapter. «Les navires représentent 4 à 5 % de la pollution urbaine. On est en train de parler d’un problème certain mais pas essentiel, argue le PDG de Corsica Ferries, Pierre Mattei. On a compris que l’on doit changer mais pour cela, il faut des règles, des partenariats et du temps. Partout où c’est possible, on essaie de transformer les pratiques : on réduit la vitesse, on fait des escales plus courtes, on gère mieux l’air conditionné.» Alors pourquoi attendre une législation pour réduire la teneur en soufre de son fuel ? «Le carburant n’est pas encore disponible, affirme Pierre Mattei. Les livraisons n’ont pas commencé.» Aussi, plus le combustible est léger en soufre, plus il est coûteux.

A terre, une station de mesure de la qualité de l’air a été installée. Pendant les manœuvres des ferries, le jour du reportage, le taux de dioxyde de soufre a doublé, passant de 2,7 microgrammes par mètre cube (µg/m³) à 6,1. «On est très en dessous de la norme horaire», pointe cependant Laetitia Mary, responsable de l’action territoriale à Atmosud. Cette association de surveillance de la qualité de l’air agréée par le ministère de l’Environnement gère la station. «Ces bateaux ont des moteurs à propulsion. C’est en mer qu’ils sont les plus polluants en soufre, détaille-t-elle. Les émissions vont avoir un impact global en Méditerranée. C’est sous la forme de particules de sulfate [dans l’eau] que l’on retrouve ce soufre.» Sur le port, Laetitia Mary se concentre aussi sur l’observation de l’azote, de l’ozone et des particules fines. «En période estivale, on a un profil de pollution au dioxyde d’azote un peu plus élevé au port [qu’ailleurs à Nice]. Cette pollution est en lien avec des phénomènes de panache de fumée des navires. Cela est ponctuel et dépend de la météorologie, explique la responsable d’Atmosud. C’est pour cela qu’au niveau annuel, on ne le voit pas. Mais on observe des pointes importantes.» Le vendredi 7 juin, jour du reportage, le taux de particules fines PM10 (appellation des particules en suspension) était de 12,2 µg/m³ à 11 heures pour atteindre un pic de 83,9 à 16 heures, moment du départ du dernier bateau. Les taux de soufre et de particules fines ont retrouvé leur concentration du matin après 17 heures. Les mêmes tendances ont été observées ce jour-là pour l’ozone et dioxyde d’azote. Laetitia Mary : «Pour les résidents de ces villes-ports, c’est lorsque les bateaux sont à quai qu’ils sont les plus pénalisants car ils font tourner leurs moteurs auxiliaires. Il va falloir trouver des actions locales.»

Le problème de la Méditerranée

Après l’étude de Transport et Environnement, le maire LR de Nice, Christian Estrosi, a «invité» sur Twitter ses «collègues maires du réseau euroméditerranéen à se réunir pour proposer des mesures et réglementer plus sévèrement l’organisation des croisières et le transport de marchandises en Méditerranée occidentale […], pour demander que des normes plus strictes soient mises en place». «Indépendamment de Nice, la pollution est le problème de la Méditerranée, enchérit son adjointe à l’environnement, Véronique Paquis. Il faut une réglementation homogène. Si on n’essaie pas, on n’y arrivera pas.» Gérard Bonnes, Daniel Moatti et d’autres habitants du port pestent également contre des nuisances typiquement niçoises, relatives à la faiblesse des infrastructures : le manque «d’alimentation électrique des navires à quai» et les milliers de véhicules qui bouchonnent dans le quartier avant l’embarquement et après le débarquement. «Les émissions d’azote proviennent aussi des voitures. L’arrivée du tram au port à la fin de l’année permettra la réduction de 20 000 véhicules par jour, avance l’élue, confiante. Quant au branchement, il est en place pour tous les yachts. Pour les bateaux plus grands, c’est à l’étude. Mais ici, la problématique est financière. Ça coûte très cher.»

Le Mega Express 4 a repris la mer pour Ajaccio, laissant sa place au Mega Andrea. Même coque jaune, même fumée noire. Des bateaux sur lesquels Monique a déjà embarqué. Depuis son balcon, elle raconte sa traversée jusqu’en Corse et ses croisières au départ de Marseille, Venise et dans le golfe Persique : «Curieusement quand j’étais sur le pont, je n’ai pas remarqué l’odeur de la pollution.» Peut-être une question d’habitude ou de sens de la brise. «Comme je fais des croisières, je comprends l’attrait des gens pour ce type de vacances, précise-t-elle. Et j’ai bien conscience que ces bateaux font tourner le commerce et les villes.» Monique ne demande pas la suppression des escales. Comme l’association, elle espère des fuels «moins lourds» et des branchements électriques. Surtout, elle mise sur les nouvelles technologies : «Il faut qu’ils mettent la gomme sur les recherches sur le bateau à hydrogène.» Pour que Monique et Dirk puissent retourner sur un navire sans culpabiliser. Et que les croisières s’amusent sous leurs fenêtres sans polluer.

Mathilde Frénois Correspondante à Nice

Sorgente: La vie des Niçois noircie par les ferries – Libération

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