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Chaîne de montage des Renault Captur, dans une usine de Moscou, le 28 mai.

Si le conseil d’administration du constructeur français continue à étudier «avec intérêt» la proposition de fusion entre égaux de l’italo-américain, la négociation achoppe encore sur plusieurs dossiers.

C’est un gros coup de poker industriel et financier dont l’avenir dira s’il est gagnant ou désastreux pour la marque au losange et l’emploi automobile en France. Vu l’enjeu, le conseil d’administration de Renault, qui s’est réuni mardi après-midi pour étudier la demande en mariage faite il y a une semaine par Fiat-Chrysler, n’a pas encore tranché. Les administrateurs du deuxième constructeur français ont décidé de se réunir à nouveau ce mercredi, «en fin de journée», avant de donner une réponse ferme et définitive au groupe italo-américain. Tout en confirmant son «intérêt» pour ce projet de fusion à 30 milliards d’euros qui donnerait naissance au numéro 3 mondial du secteur (avec 170 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 8,7 millions de voitures vendues), la partie française a préféré se donner vingt-quatre heures pour continuer à étudier «l’opportunité d’un tel rapprochement et prolonger les échanges sur ce sujet». Les termes de ce communiqué laconique – deux lignes sèches – laissent à penser que les négociations entre les deux directions achoppaient encore mardi sur plusieurs points essentiels, sous le regard vigilant des gouvernements français et italien. Bref, l’affaire n’est pas encore faite, contrairement à ce que pensaient les marchés financiers plus tôt dans la journée (l’action Renault a terminé mardi en hausse de 4,28 % à Paris et celle de FCA de 4,52 % à Milan).

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Le 27 mai, accusant réception de l’offre de fusion à 50-50 formulée par FCA, Renault avait pourtant publié un communiqué enthousiaste, reconnaissant «l’opportunité d’un tel rapprochement, confortant l’empreinte industrielle du Groupe Renault» et qui serait «générateur de valeur additionnelle pour l’Alliance». Rien de tout cela mardi soir : l’humeur des administrateurs de Renault n’est plus aux amabilités mais aux négociations à couteaux tirés.

Retard dans l’électrique

Il faut dire que de ce côté-ci des Alpes, on a pris la semaine pour y regarder à deux fois. Et en fait de «mariage entre égaux», tous ceux qui ont sorti une calculette ont vu un début d’arnaque pour les actionnaires de Renault. Sur le papier, l’italien, qui a racheté l’américain Chrysler il y a dix ans, pèse un peu plus lourd en Bourse que Renault : 18 milliards d’euros pour le premier, contre 16 milliards d’euros pour le second. Aussi les actionnaires de FCA demandent à recevoir 2,5 milliards d’euros de dividendes en cash dans le cadre de la fusion. De quoi combler la famille Agnelli, principal actionnaire de Fiat-Chrysler. Il faut dire que le patron de FCA, John Elkann, l’héritier de la dynastie Agnelli, a intelligemment attendu que l’action Renault soit tombée au plus bas suite au scandale Carlos Ghosn (- 32 % en un an) pour faire sa demande en mariage. Or, dans les faits, Renault est aujourd’hui en bien meilleure santé que Fiat Chrysler : la marge opérationnelle du Français (sa rentabilité), est presque deux fois supérieure (6,3 %) à celle de l’Italien (3,7 %). Et Fiat Chrysler, très en retard dans la voiture électrique (zéro véhicules zéro émissions dans sa gamme), a aujourd’hui grand besoin des technologies de Renault, leader dans le secteur grâce à son alliance avec le japonais Nissan. A ce propos, l’offre de FCA ne prend carrément pas en compte la valeur de la participation de 43 % détenue par le français dans Nissan. Dans ces conditions, le fonds activiste Ciam, actionnaire de Renault, a déjà fait savoir qu’il «s’opposera fermement à cette prise de contrôle opportuniste» qui sous-valorise le groupe français. Les autres actionnaires du losange risquent d’embrayer en estimant que ce serait plutôt à FCA de verser une prime aux actionnaires de Renault et non l’inverse.

Après avoir parlé d’une «réelle opportunité pour Renault et l’industrie automobile française», le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, et à travers lui l’Etat français, appuie lui aussi sur le frein : «Il est hors de question que le projet de fusion aboutisse à une prise de contrôle de Renault par Fiat Chrysler», déclare une source proche du gouvernement. De fait, après fusion, la famille Agnelli verrait sa part diluée de 29 à 14,5 % mais deviendrait le premier actionnaire du nouvel ensemble, devant l’Etat français, qui ne détiendrait plus que 7,5 % contre 15 %.

Marché américain

Dans ces conditions, Paris demande des «garanties» aux Italiens : un fauteuil d’administrateur pour l’Etat français, que le siège du futur groupe reste à Boulogne-Billancourt, l’assurance qu’il n’y ait aucune fermeture d’usines ni suppressions d’emplois pendant au moins quatre ans… Les syndicats de Renault et Fiat savent en effet ce que veulent dire les 5 milliards d’euros de «synergies» annoncées par FCA : des milliers de suppressions de postes à terme. Et le patron du groupe Jean-Dominique Senard a lui aussi des raisons de douter : si un mariage avec l’Italien lui offrirait enfin un débouché sur le marché américain avec Dodge, Chrysler et Jeep, le Français risque d’y perdre son alliance avec Nissan. Pas le problème des Italiens, dont l’offre de mariage subite est à prendre ou à laisser. Sans délais.

Jean-Christophe Féraud

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