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Après le retrait du foulard sportif par l’enseigne, des femmes musulmanes qui portent le voile racontent la discrimination qu’elles subissent au quotidien.

Tribune. Nous, femmes musulmanes qui portons le voile (1), sommes souvent objets des débats plus que sujets. Pourtant nous avons des choses à dire et des histoires à partager. A l’occasion de la «polémique Decathlon», nous souhaitons faire entendre notre voix.

«Je suis Asma, étudiante en école d’ingénieurs. Pour valider mon semestre, je dois obligatoirement pratiquer un sport. Je me suis inscrite au badminton, mais arrivée au cours, mon professeur était catégorique : “Tu ne peux pas participer à ce cours avec ton voile.” Consternée, j’ai demandé à voir le directeur de l’école. Il m’a confirmé que j’avais le droit de faire du badminton. Rassurée, je suis retournée au cours. Mais encore une fois, mon prof m’a refusé l’accès si je n’enlevais pas mon voile. Fatiguée et désarmée, j’ai choisi de changer de sport pour faire du tir à l’arc. J’aurais peut-être pu faire un recours mais j’avais juste envie de valider mon semestre.»

«Moi, à la suite de problèmes de dos chroniques, mon kiné m’avait prescrit des séances de natation. Je suis arrivée à la piscine avec un maillot de bain couvrant jusqu’aux chevilles et aux poignets et un bonnet de bain sur mes cheveux. Un maître-nageur m’a interpellée à la sortie du vestiaire : “Un tel maillot de bain n’est pas autorisé.” Je suis sortie dépitée et j’ai cherché une autre piscine. Mais aucune des piscines publiques de Grenoble ne permet l’accès aux femmes musulmanes avec un maillot couvrant.»

«Je m’appelle Camille, j’avais rendez-vous avec une gynécologue du centre de santé. “Vous êtes très bien habillée pour une fille voilée”, me dit-elle en m’accueillant, avant de passer vingt minutes à m’expliquer son opinion sur mon port du voile, sans que je puisse en placer une. “On réussira à l’enlever votre voile, vous verrez !” J’ai essayé tant bien que mal de lui répondre : “Madame, je ne suis pas ici pour me justifier mais pour un examen médical.” A la fin, elle m’a examiné cinq minutes, m’a prescrit un médicament puis a conclu : “Revenez me voir, je voudrais vous parler et vous convaincre.” Je n’ai plus voulu retourner au centre de santé.»

Nous, femmes musulmanes, subissons une islamophobie quotidienne, et le renoncement de Decathlon à commercialiser le hijab de running illustre une nouvelle défaite de la tolérance dans la société française. Plaquer sur les femmes portant le voile tous les préjugés et toutes les généralisations ouvre la porte à tous les abus. On nous demande d’être discrètes, de respecter la culture du pays qui nous accueille. On nous soupçonne de ne pas être libres de choisir nos vêtements nous-mêmes. Et ce soupçon entraîne des interdictions qui sont censées nous libérer.

Mais nous ne sommes ni soumises ni inconscientes, nous sommes fières de notre foi et fières de nos choix. En assumant nos croyances, notre voile, nous réclamons la liberté d’être femmes et musulmanes en France. Nous exerçons notre liberté de conscience. Nous dénonçons les détournements de la laïcité pour mieux nous opprimer. La laïcité de la loi 1905, c’est la liberté. «Quiconque porte atteinte à la liberté de conscience, […] à la liberté des personnes d’exprimer leur foi et de pratiquer leur religion sera puni.» Nous revendiquons la protection et l’extension de la liberté de conscience. Nous refusons les discours identitaires affirmant que les voiles n’ont pas leur place en France. Nous souhaitons défendre la liberté d’être une femme musulmane voilée en France, d’accéder à tous les équipements et services publics sans entrave, d’accompagner les sorties scolaires, de pratiquer les sports que l’on souhaite, d’accéder à tous les emplois, y compris ceux de la fonction publique.

Nous n’attendrons pas qu’on nous donne les droits. Prenons-les. Sans haine et sans violence, nous nous battrons pour une société tolérante et ouverte. Les femmes choisissant de porter le voile sont les premières combattantes de la liberté de conscience.

Nous demandons à Decathlon de ne pas céder aux intimidations dont nous avons nous-mêmes l’expérience. Nous demandons à l’Etat français de faire valoir la tolérance et une laïcité qui protège la liberté de conscience. Nous exigeons que soit respectée en France notre liberté de femmes de nous habiller comme nous le souhaitons, de porter un voile ou de ne pas le faire. Nous voilons nos cheveux, mais nous ne couvrons pas notre cerveau. Que celles et ceux qui se prétendent plus libres que nous veillent à ne pas trop voiler leur vision et leurs idées.

Signataires: Camille KADDED, étudiante, 22 ans; Merve Nur YILMAZ, étudiante, 19 ans; Asma BOUGHANMI, étudiante, 22 ans; Nazia DEBZA, féministe, 42 ans; Ryslene NORZAMANE, étudiante, 20 ans; Taous HAMMOUTI, mère au foyer et femme engagée, 39 ans; Naïma SBAOUI, 57 ans, auxiliaire puéricultrice. Toutes sont membres de l’Alliance citoyenne à Grenoble et Aubervilliers.

(1) Depuis début 2018, 400 femmes se sont engagées avec l’Alliance citoyenne pour demander à la ville de Grenoble l’accès aux piscines pour les femmes musulmanes et le recul de toutes les discriminations qu’elles subissent dans la ville. A l’occasion de la polémique Decathlon, elles souhaitent faire entendre la voix des premières concernées.

Un collectif de femmes musulmanes

Sorgente: Hijab de running : «Nous demandons à Decathlon de ne pas céder aux intimidations» – Libération

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