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20 April 2024
0 12 minuti 5 anni

L’ex-président Lula en 2016. Photo Adriana MACHADO. REUTERS

Les responsables de l’enquête anticorruption «Lava Jato» auraient manœuvré pour empêcher le retour de l’ancien président de gauche au pouvoir en 2018, selon le site «The Intercept», sur la base d’enregistrements explosifs.

Des magistrats ont-ils conspiré pour empêcher Lula, l’ancien président de gauche du Brésil (2003-2010) de se présenter une nouvelle fois en 2018 ? C’est l’accusation que lance le site d’investigation The Intercept après avoir eu accès à un grand volume de messages privés échangés notamment sur la messagerie Telegram entre les procureurs et le juge Sérgio Moro, et obtenus de façon anonyme. Ce juge est aujourd’hui ministre de la Justice du président d’extrême droite Jair Bolsonaro.

Que révèle l’enquête de «The Intercept» ?

Par le biais d’une source anonyme, le site a eu accès à un grand nombre de messages privés échangés sur Telegram, de 2015 à 2017, entre les procureurs qui instruisent l’affaire Lava Jato («lavage express»), la tentaculaire enquête sur la corruption qui a bouleversé le paysage politique brésilien, et leur chef, Deltan Dallagnol, notamment. Sans démontrer que Lula est innocent, ces échanges portent un sérieux coup à la solidité de l’accusation qui a mené l’ancien président en prison – il purge depuis avril 2018 une peine de huit ans et dix mois de réclusion, après sa récente révision à la baisse -, l’empêchant de briguer la présidentielle de 2018 dont il était le favori.

Alors juge de première instance, le ministre de la Justice du gouvernement de Jair Bolsonaro, Sérgio Moro, l’avait condamné pour corruption le 12 juillet 2017, un verdict confirmé en appel début 2018. Lula aurait reçu un triplex en bord de mer de la part du groupe de BTP OAS, en échange de quoi l’entreprise aurait décroché des contrats avec le géant pétrolier Petrobras. La principale révélation de The Intercept (qui en promet d’autres) : le procureur Deltan Dallagnol nourrissait des doutes sur sa culpabilité. «Ils vont dire qu’on l’accuse sur des indices fragiles […], écrit-il à ses pairs. Jusqu’à présent, j’ai peur de [faire] ce lien entre Petrobras et enrichissement. Et après ce qu’on m’a dit, j’ai peur, pour cette histoire d’appartement.»

Les doutes de Dallagnol touchent ici à deux points clés qui sous-tendent l’accusation contre Lula : le leader de gauche a-t-il vraiment permis au groupe OAS, en échange du triplex, d’obtenir des contrats avec Petrobras ? Car sans lien avec la compagnie pétrolière, au centre des détournements révélés par Lava Jato, le juge Moro – dont l’impartialité a toujours été remise en cause par la défense – n’était plus compétent. Surtout, s’il n’y a pas eu contrepartie en échange du «cadeau» supposément reçu par Lula, alors il n’y a pas eu corruption. Or Dallagnol ne semble même pas sûr que Lula soit le réel propriétaire du triplex… Cela ne l’empêchera pas de le mettre en accusation, quelques jours plus tard, le 14 septembre 2016, lors d’une conférence de presse fracassante, le présentant en «chef» d’une organisation criminelle ayant pris d’assaut le groupe pétrolier semi-public Petrobras.

The Intercept révèle aussi des échanges entre Sérgio Moro et Dallagnol, auquel le magistrat suggère une piste d’enquête contre le leader de gauche. Au Brésil, le juge peut superviser l’instruction, mais Moro semble avoir été trop loin. Il n’y a aucune anomalie, s’est défendu l’intéressé, qui a toujours démenti toute chasse aux sorcières contre le Parti des travailleurs (PT) de l’ancien président. Les avocats de Lula, eux, y ont vu une confirmation du «complot» visant selon eux leur client, afin d’empêcher son retour au pouvoir.

Qui est Sérgio Moro, le juge devenu ministre ?

Le 6 mars 2016, quand le Brésil se réveille, une image tourne en boucle sur les écrans : l’ancien président Lula est emmené sous bonne escorte au palais de justice de São Paulo pour y être interrogé. Comme un vulgaire parrain de la drogue ou du jeu clandestin. A l’aube, un dispositif démesuré (200 policiers, 30 inspecteurs du fisc) a perquisitionné son domicile avant d’emmener le fondateur du PT. Cette mise en scène médiatique a été voulue par Sérgio Moro, juge de première instance à Curitiba, dans le Paraná, un tranquille Etat du Sud éloigné des centres de décision. C’est sur son bureau qu’a été déposée la première plainte contre le géant du BTP Odebrecht, préambule à ce qui deviendra l’affaire Lava Jato.

Si la croisade anticorruption du petit juge provincial suscite dans un premier temps la sympathie, il apparaît vite que sa cible privilégiée est le Parti des travailleurs. Bien que l’ensemble des forces politiques semble avoir bénéficié des largesses du Bouygues brésilien. Au-delà du fort soupçon de partialité, ce sont les méthodes du juge Moro qui posent problème. Pour faire parler un suspect, il n’hésite pas à prolonger indéfiniment sa détention provisoire. Il marchande sans vergogne (remises de peine contre collaboration) et distille les fuites dans les médias.

Lors du débat sur la destitution de Dilma Roussef, Moro révèle des écoutes entre l’ancien président et sa successeure, sans rapport avec Lava Jato. Sa justification : «le droit à l’information» du public. Une fois la présidente chassée du pouvoir, Moro peut s’attaquer de front à Lula, qu’il accuse d’avoir accepté en cadeau le triplex.

Après la condamnation qui met hors course le favori des sondages, le juge Moro jette le masque entre les deux tours de la présidentielle : il sera ministre de la Justice si le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro est élu. Depuis le 1er janvier, le petit juge est à la tête d’un ministère au périmètre élargi à la sécurité publique et aux affaires pénitentiaires. C’est le triomphe de cette «république de Curitiba» que dénonçait Lula, un groupe de juges réuni autour de Moro pour, selon lui, l’empêcher de briguer un nouveau mandat. Amère conclusion pour le «Mandela brésilien» : c’est grâce aux pouvoirs élargis que la gauche a accordés aux juges pour combattre la corruption que Moro a pu avoir sa peau.

Comment fonctionne «The Intercept» ?

En 2013, Pierre Omidyar, homme d’affaires franco-irano-américain fondateur d’eBay, annonce la création d’un média doté de 250 millions de dollars, une partie infime des bénéfices de son site d’enchères. Il confie les rênes du nouveau journal en ligne, baptisé The Intercept, à un trio de personnalités américaines liées au journalisme collaboratif et d’investigation : Glenn Greenwald, qui a publié dans le Guardian les premières révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage mondial mené par la NSA, l’agence de renseignement de la Défense des Etats-Unis ; Laura Poitras, dont le documentaire Citizenfour retrace l’histoire de Snowden ; et Jeremy Scahill, célèbre pour un livre-enquête sur Blackwater, société de défense privée américaine.

The Intercept se donne pour mission d’exploiter et de révéler les données transmises par des lanceurs d’alerte. En commençant par la masse de documents de la NSA mise à sa disposition par Snowden. Ainsi, le site révèle en décembre 2016 (en France, avec son partenaire le Monde) l’étendue de l’espionnage de l’agence américaine et de son équivalent britannique, la GCHQ. Notamment l’interception des appels passés depuis les avions de ligne.

Leur méthode de travail les différencie d’autres sites (notamment WikiLeaks, l’organisation de Julian Assange). The Intercept juge indispensable de traiter et de sélectionner les informations, en évitant de livrer les données brutes. Ce qui leur a été reproché par Snowden lui-même. En mai 2014, le média masquait dans un article le nom d’un pays (l’Afghanistan) «pour raisons de sécurité». Glenn Greenwald expliquait alors qu’il était «irresponsable de révéler des documents sans avoir évalué l’impact de leur publication». Le site est très actif au Brésil, pays où réside Greenwald. Le journaliste est marié avec David Miranda, conseiller municipal de Rio de Janeiro, élu sur la liste d’un parti de gauche radicale.

La condamnation de Lula peut-elle être annulée ?

Les révélations de The Intercept n’ont surpris personne. Les abus supposés des procureurs chargés de Lava Jato et du juge Moro lui-même, contre Lula et d’autres, sont dénoncés de longue date. Lundi, les avocats de l’ancien président ont appelé à son immédiate remise en liberté, répétant que les procès (il y en a dix au total) contre l’ancien président sont entachés d’illégalités. La défense n’avait pas pu obtenir que Sérgio Moro soit déchargé du dossier. «Or nous sommes désormais face à des faits nouveaux, de nature à mettre en doute l’impartialité de l’ex-juge, en révélant sa proximité avec le parquet», analyse Heloisa Estellita, professeure de droit à la Fondation Getulio-Vargas.

Cette spécialiste affirme aussi que d’autres personnes condamnées dans le cadre de Lava Jato pourraient se prévaloir de ces révélations, sous réserve cependant qu’elles soient jugées recevables. «Ces messages ont été obtenus de façon illicite et pourraient donc être écartés comme autant de preuves illégales», reprend Heloisa Estellita. Reste à savoir si la justice brésilienne osera affronter la popularité de Sérgio Moro, supérieure à celle du président Jair Bolsonaro. Jusqu’ici, aucune instance supérieure ne s’était émue des actes arbitraires qui lui étaient imputés. C’est d’ailleurs ce qui avait poussé la défense de Lula, presque systématiquement déboutée, à se tourner vers le comité des droits de l’homme de l’ONU.

Chantal Rayes Correspondante à São Paulo , François-Xavier Gomez

Sorgente: Brésil: Lula victime d’une machination express? – Libération

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