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Si la cathédrale est depuis des siècles un trésor et une fierté, les plus de 3 600 sans-abri dénombrés dans la capitale sont une honte qui ne date pas d’hier.

Oui, il faut reconstruire Notre-Dame. Mais l’ambition déclamée mardi soir par Emmanuel Macron d’accomplir ce tour de force en seulement cinq ans et de rendre la cathédrale «plus belle encore» à l’issue des travaux a quelque chose de too much. Défi enfantin, bravache, et donc plutôt touchant, face au destin tragique ? Ou volonté bassement égotique, et donc problématique, de laisser sa trace ? La vérité est probablement entre les deux.

Alors que les experts interrogés ces derniers jours évaluent le chantier à une dizaine d’années, on cherche l’enjeu à vouloir diviser de moitié ce délai raisonnable. Certains commentateurs forcément malveillants ont illico calculé que même en cas de second mandat, Emmanuel Macron aura achevé son bail élyséen au plus tard en 2027, donc trop tard pour inaugurer «son» œuvre. Une livraison dans cinq ans aurait en outre une chance d’intervenir pour les Jeux olympiques qui se tiendront en 2024 dans la capitale. Mais tout cela n’est bien sûr que pure spéculation.

Oui, il faut se réjouir de voir les Français abonder largement le fonds ouvert par la Fondation du patrimoine et les plus grandes fortunes ou entreprises de ce pays contribuer à l’effort collectif à hauteur de leurs moyens. Pour beaucoup d’entre elles, peu friande d’imposition, une fois n’est pas coutume. S’il n’est pas en soi critiquable, ce très anglo-saxon mécénat de crise pour la sauvegarde du patrimoine interroge, lui qui fait pleuvoir par miracle des centaines de millions quand ils sont si difficiles à trouver pour d’autres causes pas moins légitimes. Alors que l’année 2018 a vu les dons aux associations baisser fortement (un effet pervers de la suppression de l’ISF), l’argent va visiblement plus facilement à la pierre et tout ce qu’elle charrie, qu’à la Terre et tout ce qu’elle nourrit ou à la chair et tout ce qu’elle subit.

Oui, il est légitime qu’un Stéphane Bern, le «monsieur patrimoine» du pouvoir, donne de la voix pour que Notre-Dame soit labellisée «trésor national» et profite d’une défiscalisation des dons à hauteur de 90 % (plafonnée à 50 % de l’impôt dû par l’entreprise donatrice). Chacun son rôle. Mais est-il normal que donner aux Restos du cœur, à Emmaüs ou à des associations luttant pour la sauvegarde de la planète ne soit pas considéré par la société comme d’une importance au moins équivalente ? S’il ne s’agit pas de dénier au patrimoine son statut de bien commun à préserver et à Notre-Dame sa valeur particulière, l’humain et la nature ne sont-il pas aussi d’incontestables trésors nationaux ? Leur sauvegarde serait-elle davantage acquise ?

Un exemple parmi tant d’autres. A Paris, si Notre-Dame est depuis des siècles un trésor et une fierté, les plus de 3 600 sans-abri dénombrés dans la capitale lors de la dernière «nuit de la solidarité» sont une honte qui ne date pas d’hier. Et où sont les millions à hauteur de l’enjeu ? Emmanuel Macron se posant au centre du jeu en président (re)bâtisseur de la cathédrale parisienne, il est tentant de lui soumettre une autre parole forte tenue dans une allocution à ses «chers compatriotes». Lors de son allocution du 31 décembre 2017, le chef de l’Etat avait lancé : «Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans abri». Un vœu resté pieux.

Sorgente: Macron : un «je veux» pour Notre-Dame, mais un vœu pieux pour les sans-abri – Libération

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