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19 April 2024
0 10 minuti 5 anni

Pour Stéphane Lacroix, spécialiste du Moyen-Orient, les dizaines d’exécutions en Arabie Saoudite, dénoncées par Amnesty International, montrent un durcissement du royaume saoudien.

Mardi, en Arabie Saoudite, 37 nationaux ont été mis à mort après une condamnation pour «terrorisme». Les exécutions, réalisées dans six régions du pays et annoncées par le ministre de l’Intérieur dans un communiqué, concernaient des personnes reconnues coupables d’avoir «adopté la pensée terroriste extrémiste» et d’avoir «formé des cellules terroristes». D’autres étaient accusées de «sédition confessionnelle», un terme généralement utilisé pour les militants chiites. Parmi ces condamnés, 36 ont été décapités, tandis que le dernier a été crucifié, un châtiment réservé pour des crimes d’une extrême gravité. Selon Human Rights Watch, 33 des 37 personnes exécutées étaient chiites, ce qu’a également dénoncé Amnesty International, qui estime que «la peine de mort a été utilisée comme outil politique pour écraser la dissidence au sein de la minorité chiite du pays». La Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a elle aussi condamné ces exécutions, reprochant notamment à Riyad la mise à mort de trois personnes mineures lors des faits ainsi que les allégations de tortures et de mauvais traitements lors des interrogatoires.

Les dernières exécutions de masse en Arabie Saoudite remontent à janvier 2016. A l’époque, 47 personnes, dont le chef religieux chiite Nimr Baqr al-Nimr, furent mises à mort le temps d’une seule journée. Des représentations diplomatiques saoudiennes avaient alors été attaquées lors de manifestations iraniennes, qui dénonçaient ces exécutions en Iran. L’Arabie Saoudite avait alors rompu les relations diplomatiques avec Téhéran, l’accusant d’ingérence dans les affaires internes des pays de la région. Face à ces nouvelles mises à mort, l’Iran a réagi dans la nuit de mardi à mercredi en dénonçant le manque de réponse des Etats-Unis et l’impunité des Saoudiens.

Stéphane Lacroix est professeur associé à l’Ecole des affaires internationales de Sciences-Po, spécialisé sur le Moyen-Orient. Pour lui, ces exécutions montrent notamment un durcissement autoritaire du royaume saoudien.

Quel est le profil des personnes exécutées ce mardi ?

Une grande partie des mis à mort sont des chiites, mais il y a aussi plusieurs sunnites. Parmi ces derniers, on retrouve des membres d’Al-Qaeda, dont la personne crucifiée qui était accusée d’avoir décapité un officier de police saoudien en 2007. La presse saoudienne justifie ce châtiment et la brutalité de son crime. Peu d’informations ont circulé sur le profil des chiites exécutés, mais il semble qu’au moins une partie d’entre eux avaient pris part aux manifestations, violemment réprimées, qui avaient agité la province orientale (où vit la minorité chiite saoudienne) pendant plusieurs années dans la foulée des printemps arabes de 2011.

C’est la deuxième fois que de telles mises à mort ont lieu en Arabie Saoudite. Pourquoi de telles exécutions de masse ?

J’ai l’impression que le pouvoir saoudien veut en faire une preuve de fermeté, de son engagement contre le terrorisme. C’est comme ça qu’ils les présentent en tout cas. Il y a toute une rhétorique qui consiste à prouver, au national et l’international, son engagement contre le terrorisme. A chaque fois, les autorités mélangent des militants chiites et des militants d’Al-Qaeda et de l’Etat islamique. Ce qui traduit un peu, en acte, la doctrine du Royaume qui consiste à dire que les jihadistes sunnites sont des terroristes, tout comme le sont les militants islamistes chiites, accusés d’être les suppôts de l’Iran. Les protestants chiites, même pacifistes, peuvent être classés dans la catégorie ambiguë du terrorisme. Tout le langage officiel saoudien renvoie à une sorte d’équivalence Iran-Al-Qaeda-Etat islamique. Les exécuter ensemble, c’est une manière de poser dans la pratique cette équivalence.

Ces évènements montrent-ils un changement dans la politique saoudienne ?

L’Arabie Saoudite possède un système complexe. Avant Mohammed ben Salmane (MBS), c’était un pays autoritaire que je définirais plutôt comme un paternalisme autoritaire : un système géré comme une grande famille où l’on préférait, lorsque c’était possible, acheter la paix sociale plutôt que de brutaliser la société. On rechignait souvent à exécuter des nationaux parce qu’une exécution a un impact sur la société. Il faut se rappeler qu’en Arabie Saoudite, on reste dans une société traditionnelle où chaque individu appartient à un groupe. Jusque-là, le pouvoir essayait de ménager la sensibilité de sa société en limitant de fait les exécutions de Saoudiens.

Or depuis deux ou trois ans, on a «l’effet MBS». On assiste à la transformation de l’Arabie Saoudite en un Etat autoritaire classique, comme en Egypte ou ailleurs, qui agit comme un monstre froid. Cela change radicalement la nature de l’Etat saoudien et sa relation à sa société. On rencontre un mécanisme de modernisation autoritaire de l’Etat saoudien. On se retrouve dans un contexte de rétrécissement de l’espace politique et de destruction assez systématique de la société civile. Actuellement, on est dans une période d’ultra-répression et ces exécutions, même si de réels crimes ont été commis, vont être comprises comme participant de ce durcissement. Le meurtre du journaliste Jamal Kashoggi, il y a six mois, a attiré l’attention, mais c’est une évolution qui remonte à 2016. Depuis trois ans, des intellectuels, journalistes et militants, auparavant relativement tolérés, ont été massivement emprisonnés. Cela participe à ce message d’intransigeance radicale, que le pouvoir de MBS veut envoyer à sa société.

D’autres exécutions pourraient donc être réalisées dans les prochains mois ?

C’est une question qui se pose : est-ce seulement le prélude ? Des grandes figures de l’opposition saoudienne ont été arrêtées ces dernières années et un certain nombre d’entre elles se sont vues requérir contre elles la peine de mort. On peut craindre que les exécutions de mardi marquent un tournant vers la mise à mort de manière plus systématique des opposants. Le Cheikh Salman Al-Awdah, qui a été arrêté il y a deux ans, avait milité pour la démocratisation du régime saoudien après 2011 et comptait près de 15 millions d’abonnés sur Twitter. La peine de mort a été requise contre lui, ce qui a été vu comme une radicalisation du pouvoir saoudien qui n’avait, auparavant, jamais demandé ce châtiment contre une personnalité de cette stature.

Dans son rapport, publié début avril, Amnesty International décomptait 149 exécutions en Arabie Saoudite. Avec ces dernières, nous en sommes déjà à plus de 100 depuis janvier…

Tous les ans, en moyenne 150 exécutions sont réalisées en Arabie Saoudite, essentiellement pour des crimes de droit commun. Ce sont souvent les étrangers qui sont exécutés parce qu’ils n’ont pas de tribu pour intercéder en leur faveur et payer le prix du sang. La vraie nouveauté, déjà valable en 2016, est que des crimes politiques sont désormais passibles de condamnation à mort. C’est pour cela que l’on peut craindre que se multiplient les exécutions de contestataires pacifiques, surtout quand on connaît la définition variable du terrorisme en Arabie Saoudite.

Quel rôle peuvent jouer ces exécutions dans les relations Arabie Saoudite-Iran ?

Depuis MBS, le Royaume a considérablement durci son discours contre l’Iran, même s’il n’avait jamais été tendre au départ. Le pouvoir entretient dans sa rhétorique la confusion entre chiisme et Iran, alors que la plupart des chiites saoudiens n’ont guère d’affinité avec Téhéran et demandent surtout une amélioration de leurs conditions de vie. Ces exécutions s’ajoutent néanmoins à ce discours d’intransigeance radicale face à l’Iran. Mais cela ne changera pas grand-chose dans les relations diplomatiques, parce qu’il y a déjà tellement d’huile sur le feu entre Riyad et Téhéran qu’en rajouter à ce stade n’a plus d’importance.

Et puis, la différence avec 2016, c’est qu’il n’y a pas de figure marquante parmi les exécutés chiites [en 2016, l’exécution de Nimr Baqr al-Nimr, un prédicateur chiite connu, avait suscité l’émotion en Iran, ndlr]. Cela aura donc probablement moins d’effets.

Lucie Lespinasse

Sorgente: Exécutions : l’Arabie Saoudite «agit comme un monstre froid» – Libération

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