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16 April 2024
0 12 minuti 5 anni

Par Céline Béal

Depuis octobre, des Autrichiens défilent contre la radicalisation du gouvernement conservateur, accusé de jouer le jeu de l’extrême droite en prenant des mesures contre les étrangers. Mais le parti du chancelier, Sebastian Kurz, pourrait bien arriver en tête lors des élections européennes.

Ils sont régulièrement 2 000 ou 3 000 à venir scander leur slogan «résistance !» sous les fenêtres de différents ministères. Tous les jeudis soir depuis octobre, ces Viennois et Viennoises protestent contre la politique de leur gouvernement. Au fil des mois, les «manifestations du jeudi» se sont également étendues à d’autres villes autrichiennes, comme Graz ou Innsbruck. Toutes ces mobilisations peuvent paraître modestes, mais elles restent notables pour la petite et paisible république alpine. Elles sont planifiées par un collectif non-partisan auquel appartiennent quelques figures historiques des grandes manifestations qui avaient marqué le pays au tournant des années 2000. A l’époque, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour dire leur opposition à la première participation de l’extrême droite au gouvernement fédéral.

Depuis un peu plus d’un an, c’est bis repetita : le Parti de la liberté est de retour à la tête de l’Autriche. Et cette fois encore, sa réapparition s’est faite au sein d’une coalition menée par les chrétiens-démocrates du Parti populaire. Même si le Parti de la liberté n’est que «junior partner» puisque sous la houlette du chancelier, le jeune chrétien-démocrate Sebastian Kurz, les organisateurs des manifestations du jeudi considèrent, à l’instar de Michaela Moser, que «tout le gouvernement vire à l’extrême droite. On le reconnaît surtout au racisme de plus en plus éclatant qui en émane». Dans les cortèges, des panneaux comme «Plus jamais ça, c’est maintenant» révèlent la peur de se retrouver confronté à des démons du passé nazi. Régulièrement, les manifestants interpellent le chancelier… qui garde, à ce sujet, un silence assourdissant. Il ignorerait sciemment le vrai et dangereux visage de son partenaire au gouvernement.

«Cerveau»

Au Parlement, la sociale-démocrate en charge des questions de mémoire, Sabine Schatz, a recours à une autre métaphore. Jeudi, elle accusait le gouvernement d’être «aveugle de l’œil droit». Allant jusqu’à considérer en substance que l’extrémisme de droite conduirait à la violence. «Il tue. L’attentat tragique de Christchurch l’a montré», dit-elle. La fusillade islamophobe en Nouvelle-Zélande a trouvé un écho inattendu en Autriche, depuis que le ministère de l’Intérieur a confirmé que le suspect néo-zélandais, Brenton Tarrant, avait séjourné en Autriche dans le cadre d’une tournée en Europe en 2018.

Le Mouvement identitaire autrichien est désormais visé par une enquête. Martin Sellner, figure de proue de ce virulent groupe de la jeunesse d’extrême droite, a reconnu avoir reçu il y a quelques mois un don de 1 500 euros de Brenton Tarrant. Depuis, l’opposition dénonce les liens entre le Parti de la liberté et les identitaires. En 2015, un certain Heinz-Christian Strache était pris en photo en compagnie d’adhérents (supposés) à ce mouvement. Ce même Heinz-Christian Strache est aujourd’hui vice-chancelier. En 2016, c’était au tour de Herbert Kickl de faire un discours remarqué à un congrès des défenseurs de l’Europe, un rendez-vous également prisé des identitaires. Herbert Kickl est aujourd’hui ministre de l’Intérieur. Ce dernier, souvent considéré comme le «cerveau» du Parti de la liberté, n’a pas adopté un style plus modéré depuis sa prise de fonctions ministérielles. Un mois après sa nomination, il indiquait vouloir loger les demandeurs d’asile de manière «concentrée», un vocable évoquant le nazisme. Plus récemment, en direct à la télévision, il répondait à une question sur le respect des droits de l’homme en affirmant que «c’est au droit de suivre la politique et non pas à la politique de suivre le droit». Son parti a par la suite expliqué que le ministre ne remettait évidemment pas en cause les principes de l’Etat de droit.

Ligne impitoyable

Sabine Matejka ne croit pas à ces dénégations. La présidente de l’association des juges autrichiens semble pourtant d’un tempérament modéré. Dans son bureau au tribunal du IIe arrondissement de Vienne, elle est habituée à régler des conflits entre locataires et propriétaires, des histoires de familles. «C’est dangereux que quelqu’un qui a des responsabilités gouvernementales fasse de telles affirmations, dit-elle. Ces attaques à l’Etat de droit changent la perception de la population.» Elle a donc décidé de tirer la sonnette d’alarme en donnant une interview très remarquée au cours du journal télévisé du soir, le 24 janvier. La magistrate déplore que la justice, le troisième pilier de l’Etat de droit, soit actuellement délaissée par la politique. Au tribunal, une représentante du personnel le confirme : «Un départ à la retraite sur deux n’est pas remplacé, le personnel est à bout. Les employés de l’accueil rapportent que le contact avec les justiciables se dégrade, certains allant même jusqu’à manifester une colère à l’endroit de ceux qui sont étrangers.»

En Autriche, plus de 15 % de la population est de nationalité étrangère. Après les Allemands, les citoyens serbes, turcs et roumains sont les plus représentés. Un quart des Autrichiens considèrent que l’immigration est le plus gros problème du pays, selon une enquête européenne présentée mi-février. Le gouvernement, qui suit une ligne impitoyable en la matière, jouit d’une popularité stable dans les sondages. Récemment, le ministre Herbert Kickl a réagi au meurtre du chef d’un service social dans l’ouest du pays en imaginant créer une «détention de protection» spéciale pour les demandeurs d’asile jugés potentiellement dangereux. Il faudrait modifier la Constitution.

«Dénigrement»

En attendant, le gouvernement a avancé dans la réalisation de son programme avec deux mesures emblématiques. La première ? Une loi qui permet, depuis janvier, de baisser les allocations familiales pour les travailleurs venus de l’ancien bloc de l’Est, en particulier lorsqu’ils ont laissé leurs enfants derrière eux. Une loi qui fait l’objet d’une procédure d’infraction européenne. La seconde, une réforme de l’aide sociale, est en passe d’être votée par le Parlement en mai. La gauche critique les coupes prévues dans ce dernier filet étatique à destination des personnes sans ressources. Elles viseraient en particulier les familles et les étrangers. Selon le projet finalisé mi-mars par le gouvernement, ces derniers devront prouver leur bon niveau de maîtrise de l’allemand ou de l’anglais, sous peine de ne toucher que 563 euros par mois, au lieu du maximum de 863 euros.

«L’ambiance en Autriche est marquée par le dénigrement qui cible certains groupes de personnes», constate avec amertume Maria Katharina Moser. Membre du clergé protestant, elle dirige également la Diakonie, l’une des plus grosses organisations caritatives du pays. Selon elle, les réductions de l’aide sociale toucheraient en réalité tout le monde mais, en faisant mine de cibler certains groupes comme les réfugiés ou les personnes qui ne peuvent pas travailler, «on essaye de monter les gens les uns contre les autres». Pire, les subventions publiques se seraient taries pour nombre des projets de son organisation, comme les financements des cours d’allemand ou le conseil juridique aux demandeurs d’asile. «Dans ce domaine, il nous devient plus difficile de venir en aide aux personnes qui ont besoin de nous», témoigne Maria Katharina Moser.

Le chancelier Kurz trahit-il les valeurs traditionnelles de son parti chrétien-démocrate pour faire le jeu de l’extrême droite ? Au sein de sa formation, son aile dite «turquoise» lancée en 2017 se caractérise par sa ligne dure contre les étrangers. Elle s’oppose à d’autres courants de pensée traditionnellement représentés au sein du parti conservateur, d’inspiration chrétienne-sociale ou économique. Mesure symbolique des dissensions : le gouvernement Kurz a révoqué l’été dernier le droit pour les demandeurs d’asile d’être embauchés dans les entreprises autrichiennes en tant qu’apprentis.

Une pétition s’opposant à l’expulsion des demandeurs d’asile déjà en cours d’apprentissage réunit à ce jour plus de 73 000 signatures. Plus d’un millier d’entreprises signataires justifient leur soutien par le manque chronique de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs de l’économie. Des grands noms au sein même parti du chancelier s’y sont aussi ralliés. Parmi eux, sa tête de liste aux européennes : l’indéboulonnable Othmar Karas. Un vrai succès pour l’instigateur de la pétition. Il s’agit d’un conseiller régional en charge de l’intégration dans le Land de Haute-Autriche. Membre du parti vert, Rudi Anschober est devenu de manière inattendue l’une des rares voix audibles de l’opposition dans le débat public. «Expulser des jeunes en cours d’apprentissage, c’est non seulement manquer de charité, mais aussi porter atteinte à l’économie. La motivation de cette décision ne peut être qu’idéologique», reproche-t-il au gouvernement fédéral. Cet élu, habitué de la recherche de consensus à son échelon régional, enrage que les ministres refusent encore de discuter avec lui d’un changement de législation, malgré ses nombreux soutiens. «C’est contraire à la tradition autrichienne, explique-t-il, dans laquelle le dialogue est un pilier de la démocratie.» Le «monsieur intégration» de la Haute-Autriche n’a pourtant pas l’air prêt à lâcher le morceau. «Notre pays a maintenant besoin d’alliances larges, au-delà des partis. Ma pétition en est un premier exemple.» Tous les jeudis, dans les rues d’Autriche, les manifestants l’espèrent, cette alliance large d’opposants au gouvernement Kurz. Pour voir venir son avènement, ils attendent que le printemps s’installe. Avec les beaux jours, davantage de citoyens seront enclins à descendre dans la rue, veut-on croire dans les rangs. Pour le moment, les sondages pour les européennes donnent le parti de Kurz en tête.

Céline Béal

Sorgente: Autriche: «On essaye de monter les gens les uns contre les autres» – Libération

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