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Au lendemain de l’annonce du report de l’élection présidentielle et du renoncement de Bouteflika à un cinquième mandat, les Algériens, qui refusent de se faire berner par le pouvoir, débattent et s’organisent.

«On se croirait revenus en 1962 ! A l’Indépendance, c’était des jeunes comme eux qui sont sortis dans la rue pour fêter la victoire», lâche Ramzi, gérant d’un café de l’avenue Larbi-Ben-M’hidi. Posté à l’entrée de son établissement, le quinquagénaire, barbe brune et visage rond, ne cache pas sa joie devant ces jeunes qu’il voit défiler depuis plusieurs semaines maintenant. Une étudiante demande les toilettes, Ramzi indique la direction d’un geste de la main : «C’est comme ça depuis le début. Il faut les soutenir, maintenant c’est eux la relève.» Après l’annonce, lundi, du président Abdelaziz Bouteflika de ne pas briguer un cinquième mandat, les réactions se partagent entre joie et surtout méfiance. Car si effectivement il n’est plus candidat à sa propre succession, il reste malgré tout en poste pour une passation de pouvoir dont la durée reste incertaine. Mais peu importent les négociations politiques, la rue prépare déjà la suite.

Agora

Depuis tôt le matin, des Post-it multicolores ornent les murs de la librairie Maurice-Audin, dans le centre-ville d’Alger, cœur de la contestation dans la capitale. Sur ces carrés de papier, les passants sont invités à inscrire une idée, un message, à témoigner. C’est d’ailleurs le mot d’ordre de cette action (dont on ignore encore qui sont les auteurs), organisée près du monument qui rend hommage au jeune mathématicien mort sous la torture des militaires français durant la guerre d’indépendance.

Autour de la Grande Poste, sur les places, les trottoirs, les terrasses de café, partout où l’on se croise, des débats s’improvisent. Les Algériens se réapproprient les espaces publics qui leur ont longtemps été confisqués. «Tahia Djazaïr !» («vive l’Algérie») lance un passant, un hymne immédiatement repris par les divers groupes présents, essentiellement des étudiants. Djalal Mokrani est un militant du Rassemblement action jeunesse, une association emblématique de la société civile algérienne, née au milieu des années 90, en pleine décennie noire du terrorisme. Son air sérieux tranche avec l’allégresse des centaines d’étudiants tout proches qui, réunis en agora, entonnent en cœur des chants populaires contestataires des supporteurs de foot. «A l’heure actuelle, le défi est de maintenir la pression pour un vrai gouvernement de transition. Les gens ont compris la manœuvre d’étouffement du mouvement.» Les annonces de la présidence, la veille, promettant une ouverture démocratique, sont interprétées comme de vaines tentatives pour gagner du temps. Les Algériens appellent à poursuivre la mobilisation, notamment vendredi, jour de week-end en Algérie.

Ici et là, au détour d’une rue ou d’une place, des initiatives tentent d’émerger. Comme celle qui a lieu, par exemple, sur les marches de l’entrée du Théâtre national d’Alger devenues un rendez-vous de débat public hebdomadaire. Même les immeubles haussmanniens de l’ancien quartier européen du temps de la colonisation ont pris des airs de contestation. Chaque jour, les drapeaux vert et rouge deviennent plus nombreux et plus grands. Traduction d’une prise de conscience, d’un «éveil», dit-on ici. «En Algérie, nous avons une longue expérience de la mobilisation. La contestation n’a jamais cessé d’exister. Maintenant, il faut l’élargir à toutes les sphères de la société. Dans les quartiers, partout, il faut que les choses s’organisent», insiste Djalal Mokrani, face au risque de récupérations politiques des revendications.

Actions ciblées

Mais qui sont les leaders qui pourraient se distinguer à présent ? L’opposition «officielle» est perçue comme partie prenante du système et donc disqualifiée. La société civile, que le pouvoir tente de museler depuis plusieurs années, notamment en durcissant les conditions de création des associations, est encore embryonnaire. Pour le moment, les corps intermédiaires, à l’instar des étudiants, des enseignants, des magistrats ou des journalistes, mènent des actions ciblées dans leur domaine. La jonction des luttes est appelée des vœux de nombreux militants.

A Bab el-Oued, grand quartier populaire, situé entre le centre-ville et la mer, les jeunes de l’association culturelle SOS Bab el-Oued imaginent la relève. «On doit se bouger nous-mêmes pour que ça bouge !» estime Tiziri. La femme de 21 ans, voile de couleur nacre assorti à sa longue jupe, est déterminée. De même pour la quinzaine de jeunes présents dans les locaux de l’association. «Bouteflika n’a réussi qu’une chose, unifier le peuple», lance Amine, le sourire en coin. Il a 17 ans et n’a connu que ce président, en poste depuis vingt ans. Mais derrière le visage juvénile se cache une inquiétude, partagée par l’assemblée : «On a peur pour notre avenir. Et si on ne sort pas, alors on n’aura pas d’avenir.» Roumaïssa, 21 ans, réagit avec force : «On veut un changement radical. On a besoin d’un président jeune, qui comprenne nos besoins.» Tous acquiescent de la tête.

De la Casbah en passant par Belcourt et Bab el-Oued, ce sont les jeunes de ces quartiers désœuvrés qui sont sortis massivement le 22 février, un jour désormais devenu historique pour les Algériens. Rassemblés autour de Nasser, président bienveillant de l’association SOS Bab el-Oued, les jeunes parlent politique. «C’est une culture, à Bab el-Oued, quartier frondeur depuis longtemps, d’être mobilisé», dit-il. L’éducateur accompagne les jeunes lors des manifs. Tiziri et Roumaïssa montrent fièrement au groupe les photos qu’elles ont prises. Entre la découverte de nouveaux modes d’expression contestataires et les selfies pris par ces mêmes jeunes, parfois juchés sur les camions blindés de la police, et à qui rien ne fait peur, la relève semble se préparer.

Amaria Benamara correspondance à Alger. Photo Youssef Alfarabi. Hans Lucas pour Libération

Sorgente: Alger, ville éprise de parole – Libération

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