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Macron et Merkel, tous deux affaiblis, signent ce mardi le nouveau traité de l’Elysée, à Aix-la-Chapelle. Symbolique, le texte réaffirme les principes de solidarité mais élude les problèmes européens.

Si le «couple franco-allemand» est régulièrement soupçonné de verser davantage dans l’affichage que dans l’élaboration de politiques concrètes, ce n’est pas la signature du nouveau traité de l’Elysée, ce mardi à Aix-la-Chapelle, qui fera taire les mauvaises langues.

Ce texte était pourtant très attendu depuis le discours sur l’Europe d’Emmanuel Macron, en septembre 2017 à la Sorbonne. A l’époque, le président français plaidait avec emphase pour «une impulsion franco-allemande décisive et concrète», et proposait de signer un nouveau traité le 22 janvier 2018. Le chef de l’Etat reprenait alors peu ou prou des idées déjà énoncées par l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder et l’essayiste Alain Minc dans une tribune en 2016, où ils en appelaient à un élargissement du texte, signé en 1963 par Adenauer et de Gaulle. Dans un contexte post-Brexit de «montée du populisme», de «résurgences nationalistes» et de «retour des égoïsmes», ces derniers plaidaient alors pour un «Elysée 2.0».

Ainsi, à l’époque de son discours à la Sorbonne, Macron souhaitait que le texte soit ratifié lors de son 55e anniversaire, le 22 janvier 2018. Mais les exigences élyséennes se sont heurtées aux convulsions de la politique intérieure allemande : en janvier 2018, Berlin était paralysé par la poussive mise en place d’une nouvelle coalition gouvernementale, et donc peu de nature à lui emboîter le pas. Plus d’un an plus tard, voilà ce texte enfin ratifié par Macron et Merkel à Aix-la-Chapelle, ex-capitale de l’Empire carolingien.

Casque à pointe

Si, d’ordinaire, les traités franco-allemands déclenchent assez peu de réactions des deux côtés du Rhin, ce texte-ci attire davantage l’attention. Depuis quelques jours circulent en France plusieurs intox, alimentées par l’extrême droite française. Le texte est accusé de pousser la France à partager son siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec son voisin d’outre-Rhinet même de «vendre» l’Alsace et la Lorraine aux Allemands – preuve des relents germanophobes en France. Ces dernières élucubrations ont réussi à faire grincer des dents le très austère Frankfurter Allgemeine Zeitung. Dans son édition de lundi, le quotidien de Francfort met à sa une l’image d’un casque à pointe de l’armée prussienne, accompagnée de ce sarcastique commentaire : «Qui l’eût cru ?»

En outre, histoire d’ajouter à la confusion ambiante, bon nombre de députés allemands ont mal pris l’annonce de la date de la signature du texte par le gouvernement : ils avaient en effet prévu le même jour de discuter avec leurs homologues français d’un nouvel accord parlementaire. La cheffe du groupe parlementaire vert au Bundestag a ainsi parlé d’un «affront», tandis qu’un de ses collègues du FDP (libéraux) évoquait un «acte hostile».

Mais au-delà des fantasmes complotistes et des susceptibilités diverses, que dit le texte ? Les deux pays s’apprêtent notamment à adopter «une clause de défense mutuelle qui reconnaît qu’une agression, une menace portée sur l’un des deux pays sera vue comme une agression, une menace par l’autre pays qui mettra tout en œuvre pour aider son partenaire». «Très concrètement, cela peut arriver dans le cas d’une attaque terroriste où il faut déployer un certain nombre de moyens d’assistance, de recherche, de renseignements communs pour aider l’autre pays», indique-t-on à l’Elysée. Mais cette «clause de solidarité» n’est pas nouvelle. Elle s’inspire de ce qui existe déjà dans les traités de l’Otan et de l’UE. Le texte assure aussi que la France soutient l’Allemagne pour qu’elle obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est même là une «priorité de la diplomatie franco-allemande». Mais le sujet était déjà à l’ordre du jour de «l’Agenda 2020», feuille de route élaborée lors du douzième Conseil des ministres franco-allemand, en 2010.

«Opportunité ratée»

En outre, il existe de nombreux clivages entre la France et l’Allemagne, sur des sujets aussi variés que la taxation des géants du numérique, la sortie du nucléaire ou la politique en matière d’exportations d’armes. Des enjeux dont le traité ne dit pas grand-chose. «Beaucoup de questions ne sont pas évoquées dans le texte. C’est vraiment une opportunité ratée, surtout à quelques mois des élections européennes, commente Jens Althoff, directeur de l’antenne française de la Fondation Heinrich Böll – affiliée aux Verts allemands. Par exemple, l’enjeu de la transformation écologique est à peine abordé, et sans projet commun. C’est également le cas pour la politique d’immigration et d’intégration, alors que l’idée est tout de même, à la fin, d’aboutir à une politique européenne commune.»

Le texte prévoit bien quelques initiatives, telles un Conseil franco-allemand d’experts économiques (purement consultatif) composé de dix experts indépendants, ou la création d’une plateforme numérique commune sur laquelle plusieurs médias – France Télévisions, ARD, Arte – ont déjà «commencé à réfléchir», indique l’Elysée.

De manière générale, les deux dirigeants signataires sont fragilisés. Affaibli par la crise des gilets jaunes, le chef de l’Etat semble avoir pour l’instant relégué au second plan ses ambitions européennes. La chancelière, elle, est devenue au fil des mois un «canard boiteux», dirigeante en fin de règne dans un pays en crise politique. Avec en toile de fond commun les incertitudes du Brexit, la montée des populismes en Europe et les turbulences incessantes de la présidence Trump.

Johanna Luyssen correspondante à Berlin

Sorgente: Traité franco-allemand : un pacte d’amitié pour dirigeants en détresse – Libération

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